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Enregistrement de Phryné de Saint-Saëns à Rouen – Rions un peu avec Camille… – Compte-rendu

 « Débraillez-moi un peu tout ça ! », « Foutez-moi un bordel là-dedans ! » : Hervé Niquet n’y va pas par quatre chemins lorsqu’il s’agit d’exiger plus d’allégresse de la part du chœur. « Vraiment comme des crottes de nez un peu sèches », demande-t-il ensuite aux violons, avant d’invoquer Jackie Sardou et la publicité Polident pour inviter les chanteurs à mieux fixer leur dentier, ou Jacqueline de Romilly pour la musicalité de son français parlé. Impitoyable avec l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie – coupant court à tout bavardage intempestif, il leur fait inlassablement recommencer chaque attaque jugée trop peu précise –, le chef l’est aussi avec son Chœur du Concert Spirituel, qu’il rudoie en l’accusant de traîner, et dont il exige une attention de chaque instant en matière d’articulation, de voyelles bien timbrées et de consones sonores. « Et si vous pouviez chanter en français, ce serait formidable », ajoute-t-il entre deux prises.
 

© Le Philtre

Les 31 mars, 1er et 2 avril, le Palazzetto Bru Zane enregistre au Théâtre des Arts de Rouen l’opéra-comique Phryné de Saint-Saëns. Entre l’orchestre qui occupe tout le plateau et les solistes et le chœur qui sont installés sur une plate-forme couvrant le parterre, Hervé Niquet chante, danse, grimace et se contorsionne pour se faire comprendre, afin que les extraits au programme lors de cette première séance d’enregistrement de Phryné aient tout le dynamisme nécessaire.
 

Cyrille Dubois et Florie Valiquette © Le Philtre

Et du dynamisme, il en faut, car dans cette œuvre bien oubliée depuis sa création en 1893 à l’Opéra-Comique (1), Saint-Saëns s’encanaille et, une fois n’est pas coutume, il veut amuser le public. La courtisane antique se retrouve au milieu de l’affrontement entre le jeune Nicias et son oncle, l’archonte Dicéphile, grand défenseur des vertus morales mais en réalité vieux débauché. Premier extrait à mettre en boîte, une grande scène avec chœur et solistes, où l’on répète « Dicéphile est un fripon ! » sur un rythme virevoltant qui ne déparerait pas dans une opérette. Avec les vocalises de Phryné, Florie Valiquette (photo), pour sa première collaboration avec le PBZ, réussit son numéro virtuose de trapèze volant par-dessus les voix narquoises et volubiles de Cyrille Dubois et d’Anaïs Constans : le rôle a été écrit pour Sybil Sanderson, créatrice d’Esclarmonde et de Thaïs …
De son côté, Thomas Dolié quitte les méchants auxquels il est habitué pour un personnage de barbon ridicule et pompeux. Vient ensuite un « Salut et gloire à Dicéphile », que le chef veut « plus Napoléon III ! » Hervé Niquet demande à la grosse caisse d’être plus bruyante encore, pour mieux traduire le côté parodique de cette musique.
Dans un monde idéal, un concert devrait suivre, le 24 juin prochain à l’Auditorium du Louvre, puis le 3 juillet, à Rouen, avec les mêmes effectifs. Et à défaut, le disque viendra, en 2022 : l’année du centenaire de la mort de Saint-Saëns sera alors passée, mais on sera bien curieux de découvrir cette exception comique dans l’œuvre du bon Camille …

Laurent Bury

(1) bru-zane.com/fr/evento/phryne-2/#

Saint-Saëns : Phryné – Rouen, Théâtre des Arts, 31 mars 2021

Photo © Le Philtre 

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