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El sueño de una noche de verano de Joaquín Gaztambide au Teatro de la Zarzuela de Madrid - Shakespeare zarzuélisé et cinématographié - Compte-rendu

« L’illustre Gaztambide » : ainsi Saint-Saëns désigne-t-il Joaquín Gaztambide (1822-1870), compositeur espagnol qui avait connu le succès avec ses opéras et zarzuelas en son temps à Madrid. De nos jours, sa renommée est devenue moins « illustre », pour se cantonner aux mentions dans les encyclopédies (1) alors que son œuvre ne se réinscrit plus que de loin en loin sur les affiches. On ne peut donc que saluer l’initiative du Teatro de la Zarzuela, qui ressort de l’oubli El sueño de una noche de verano (« Le Songe d’une nuit d’été ») créé à Madrid en 1852.
 
Gaztambide fut pourtant un compositeur important en son époque, auteur lyrique prolifique certes, mais aussi l’un des prometteurs infatigables, avec en particulier le génial Francisco Barbieri (1823-1894), de la renaissance de la zarzuela. Projet vite concrétisé par l’inauguration en 1856 à Madrid du Teatro de la Zarzuela, le théâtre spécialisé (à l’image de l’Opéra-Comique à Paris). Il laisse nombre d’œuvres lyriques, bien accueillies de son vivant et qui pour certaines (El juramento, « Le Serment », de 1858, ou Una vieja, « Une Vieille », de 1860) ont peu ou prou perduré par la suite.

© Javier Del Real
 
Dans le cas de El sueño de una noche de verano, il s’agit de l’une de ses premières compositions, bien reçue lors de sa création au Teatro Circo de Madrid, mais qui néanmoins devait en rester là sans reprises ultérieures. Jusqu’à cette toute récente production du Teatro de la Zarzuela. Pour ce faire, il a fallu puiser aux sources et aux archives, à partir de la partition manuscrite conservée. Un louable travail de recherches et de reconstitution ! À mettre au compte de la constante politique de redécouvertes qui émaille la programmation de l’institution de ce théâtre madrilène hautement spécifique et hautement digne de sa mission.
 
L’œuvre, intitulée « ópera cómica » dans une autre façon de dénommer une zarzuela, s’inspire comme on s’on doute de la pièce de Shakespeare, mais avec les libertés d’usage en cette époque (de même Le Songe d’une nuit d’été, opéra-comique d’Ambroise Thomas créé peu avant, en 1850). La musique, quant à elle, évoquerait des tournures à la Rossini, à la Weber ou à la Verdi (on pense parfois irrésistiblement à La traviata, d’une année seulement postérieure), avec cependant des touches d’inspiration personnelles qui ne manquent pas de poésie. Ainsi, après une ouverture tumultueuse, quelques beaux ensembles, dont les chœurs du second acte d’un raffinement vocal et instrumental digne des meilleures compositions de ce milieu du XIXe siècle. Une façon peut-être d’un Ambroise Thomas mode espagnole, pour reprendre notre exemple chez un autre musicien institutionnel contemporain, mais avec la subtilité imaginative en plus.

© Javier Del Real
 
L’ouvrage ne démérite donc pas de sa résurrection. Toutefois, si sa musique semble avoir été intégralement respectée, il n’en va pas de même du livret, entièrement réécrit dans ses passages parlés. C’est ainsi que l’action est transposée lors d’une séance cinématographique dans la Cinecittà de l’Italie des années 1950. Ce qui correspond aussi à la mise en scène, qui comme d’autres se complaît dans ce genre de transposition. Il n’empêche que Marco Carniti (Italien lui-même, comme son nom l’indique bien) manifeste un réel talent. Les situations sont parfaitement campées, dans de jolis décors (signés Nicolás Boni), sous des lumières choisies (par Albert Faura), pour aboutir à des moments nimbés de climats évocateurs (les scènes de forêt du second acte, cette fois bien dans l’esprit shakespearien). Un bel effet pour un ravissant spectacle.
 
Mais on relève surtout, comme de coutume dans ce théâtre, une répartition vocale des mieux senties et assorties. Le baryton Luis Cansino, grand habitué du répertoire de la zarzuela, confirme sa belle réputation avec une projection assurée sertie de mille nuances. Santiago Ballerini épanche une voix et une technique de magnifique facture. Un jeune ténor à suivre. Raquel Lojendio et Beatriz Díaz leur donnent d’excellentes réparties féminines à travers un chant de grande pointure. Et tous, avec un irrésistible bagout.
 
Le chœur titulaire du théâtre s’acquitte de ses nombreuses interventions avec justesse et la délicatesse appropriée. Alors que l’Orchestre de la Communauté de Madrid, également titulaire du théâtre, répond finement à la battue vive et éclairée de Miguel Ángel Gómez-Martínez. À quand d’autres titres de Gaztambide ?... Comme une reprise de El juramento dans la mise en scène d’Emilio Sagi donnée en ces lieux en 2000 et 2012, ou de Catalina donnée seulement en version semi-scénique en 2014, ou de nouvelles autres redécouvertes…
 
Pierre-René Serna

(1) Par exemple notre Guide la Zarzuela (Bleu Nuit éditeur, 2012, Prix du Syndicat de la Critique 2013).
 
Joaquín Gaztambide : El sueño de una noche de verano – Madrid, Teatro de la Zarzuela, 31 janvier ; prochaines représentations : 3, 6, 7, 8, 9 et 10 février 2019 // teatrodelazarzuela.mcu.es/en/temporada/lirica-2018-2019/el-sueno-de-una-noche-de-verano-2018-2019

Photo © Javier Del Real

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