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Einstein on the Beach à la Grande Halle de La Villette – Yoga immersif – Compte-rendu

 

On reconnaît un classique à son intangibilité. Pour les spectateurs, aujourd’hui d’un âge respectable, qui ont assisté à la création d’Einstein on the Beach (Avignon 1976, repris en 2014 au Châtelet), l’œuvre majuscule de Glass reste intouchable. On a pu s’en rendre compte à l’aune des commentaires énervés qui ont suivi l’expérience immersive de Susanne Kennedy. Que faisaient donc chamanes et LSD dans l’ovni de Glass et Wilson, cet emblème du post-modernisme des années 80 ?
 

© Ingo Hoehn

La forme de ce non-opéra (ici réduit à trois heures trente non-stop) a des similitudes avec les premiers opéras vénitiens. Forme extensible, instrumentation selon les moyens du bord, adaptabilité maximum, on l’incarne comme on le désire. Nos scènes contemporaines ne s’en privent pas, Einstein on the Beach se retrouvant fréquemment à l’affiche ; à Genève (2019) dans la facétieuse version de la Compagnie Finzi Pasca ; à Rouen en 2022 par la compagnie Ictus ; ou à Bâle, en 2022 également, lieu de création de cette présente version.
 
Au milieu d’écrans où s’anamorphosent des formes lysergiques, Markus Selg installe la tribu primitive. Dans un temple archaïque, on adore le bouc de Mendès, dieu de la fertilité. Plus loin une grotte abrite les visions d’une violoniste chaman. Un grand anneau, emprunt à Stargate, accueille le passage et ses rites. L’ensemble est installé sur une tournette que le public, invité à déambuler librement, vient investir avec, parfois, un peu trop d’affluence. On sera surpris de croiser deux chèvres vivantes dont le lait nourrit la tribu. Six chanteurs-danseurs pérégrinent sur les gradins en égrenant les chiffres aléatoires de l’envoûtante partition. On se livre à de stupéfiants rituels (long égarement, façon trip d’ayahuasca, de Ixhcel Mendoza Hernández). Le petit ensemble Phœnix (deux claviers, flûte, saxophones, clarinette basse), dirigé par André de Ridder se joue des incessants pièges rythmiques. Les Basler Madrigalisten, comme tout droit sortis d’une rave à Goa, sont tout aussi épatants.
 

© Ingo Hoehn
 
Le lent cérémonial des gestes essentiels, l’extase et la possession, constituent la narration de cette vision écolo-militante. Certes, elle n’a plus rien à voir avec le projet initial de 1976, mais qu’importe, on ne va pas à Glass comme on va à Bayreuth ; on vient s’immerger dans une transe kaléidoscopique qui a inspiré tant de musiques actuelles, des obsessions neurasthéniques de Max Richter aux facilités des dancefloors. La réécriture techno de Building réalisée par l’ensemble Phœnix s’avère d’ailleurs un amusant clin d’œil. Les amples parties de violon de Trial, superbement jouées par Diamanda Dramm, sorte de dalaï-lama juvénile, conservent leur potentiel de vertige. Et lorsque le chœur vient y entremêler les canons de Knee Play, l’envoûtement devient irrésistible. Une nouvelle fois, la Glass Experience valait le détour.
 
Vincent Borel
 

Glass : Einstein on the Beach – Paris, Grande Halle de la Villette, 26 novembre 2023

Photo © Ingo Hoehn

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