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Dominique Preschez à l'Oratoire du Louvre – Concerto da Camera en création – Compte-rendu

Le concert du 5 octobre à l'Oratoire du Louvre – redonné le 7 à Deauville – a été l'occasion, avec la création mondiale d'un nouvel opus, de (re)découvrir divers aspects de l'œuvre de Dominique Preschez, compositeur, organiste et écrivain profondément indépendant d'esprit et de style, personnalité singulière et multiple. Si l'orgue est l'instrument de prédilection de l'interprète, le vaste catalogue du compositeur – pour l'ensemble duquel il a reçu le Premier Prix Pierre-Jean Jouve – englobe aussi bien trois symphonies et autant de concertos que nombre d'œuvres chambristes ou vocales (dont une Messe des Paroisses pour chœur, soli, orchestre et orgue), jusqu'à la comédie musicale et la musique de film. Quant à l'œuvre de l'écrivain – roman, poésie, essai, théâtre –, elle est depuis bien des années publiée par de fidèles éditeurs : Seghers, Robert Laffont, Fata Morgana, Complexe – où encore les Éditions Tinbad où paraîtra en avril 2018 son prochain ouvrage, « roman autobiographique », Le Trille du diable
 
Un double DVD Musique et Mouvement (2008) intitulé Beklemmt – terme repris de la Cavatine du Quatuor n°13 op. 130 de Beethoven (auquel Dominique Preschez donne néanmoins un sens différent de celui d'« oppressé ») – pourra tenir lieu d'introduction à l'homme et à son œuvre. On y trouve le reflet d'un concert au grand orgue de Saint-Eustache au cours duquel il créa intégralement sa transcription de la Symphonie n°5 de Beethoven : trois mouvements y sont repris, d'une fougue et d'une impétuosité imposantes, avec tous les risques, stimulants et irrésistibles, inhérents à la situation même du concert ; le mouvement lent du Concerto n°21 de Mozart, dont l'instrumentation est ici librement réinventée ; une improvisation sur le nom de Jean Guillou, avec qui il est entré en contact très jeune, incarnation du « maître à penser l'orgue » – Dominique Preschez garde un souvenir ébloui de sa Judith-Symphonie (1) ; enfin une improvisation sur une installation de Kiss Visser : Légendes en forêt.
 
Le second DVD, invitation au voyage, nous montre le musicien à son orgue puis se promenant en dialogue, sur les Planches de Deauville, avec Jean-Philippe Lajus, lui-même compositeur : il y est question du rôle premier de l'enfance dans le devenir du musicien (parmi ses maîtres surgiront les noms de Jean Langlais, Germaine Tailleferre, Yvonne Desportes [Premier Grand Prix de Rome en 1932], Henri Sauguet, Michel Guiomar), de celui de la transcription, de l'improvisation conçue telle une « contemplation fugitive », de l'orgue « instrument cosmique », de la création littéraire, de la lumière de l'estuaire de la Seine (né à Sainte-Adresse, il a grandi au Havre) et de son impact sur des peintres comme Eugène Boudin, de la recherche en composition d'une « vérité d'écriture », des harmonies de la mer (omniprésente dans sa vie, parfois d'insulaire, sous différentes latitudes) : chromatisme aussi bien sonore que pictural du double spectre de la couleur. Jusqu'à l'évocation de cette rupture d'anévrisme qui en 1992 le contraignit à une, en définitive, heureuse re-naissance. On y entend des extraits d'un choral improvisé à l'orgue Haerpfer-Erman de Saint-Augustin de Deauville dont il est titulaire, instrument néoclassique de 1955 (enregistré dès l'année suivante pour les Discophiles Français par Marie-Claire Alain, avec Michèle Auclair : Sonates pour clavier et violon BWV 1014-1019 de Bach), de son Quatuor Nomade par le Quatuor Via Nova, ou encore du Naufrage du Deutschland par Dominique Preschez lui-même au piano, déferlante sonore des plus allusives – « Quelquefois, une lumière va, s'éteignant, sous des nuages libres… » (Collection d'hiver, 2007).
 
Pour éclectique qu'ait pu sembler de prime abord le programme du 5 octobre, le lien unissant les œuvres n'en était pas moins sensible : une pleine dimension intimiste. Reflet de sa propre actualité discographique (2), le guitariste Sébastien Llinares proposa ses transcriptions des 3ème et 2ème Gnossiennes d'Erik Satie, avant d'accompagner la soprano Élise Chauvin dans Trois Mélodies de Dominique Preschez, que les deux interprètes ont créées il y a trois ans : Il était une fois, Vocalise (ou Improvisation sans mots), Sur le nom de l'enfant. Le goût du compositeur pour l'aigu de la tessiture de soprano ne facilite pas, il est vrai, l'intelligibilité des textes (du compositeur pour deux d'entre eux), cependant que de la partie de guitare émanait cette clarté sensible et d'une si vive élégance qui caractérise le jeu sans affectation de Sébastien Llinares. Rupture manifeste, mais introduction de la formation instrumentale qui sera au cœur de la seconde partie du programme : Divertimento K. 136 de Mozart par un Ensemble Vinteuil chaleureusement soudé, la partie de violoncelle de l'œuvre en quatuor étant doublée par la contrebasse. Musique vive et spirituelle, équilibrée avec ferveur et rigueur.
 
Après la 1ère Gnossienne, mise en condition pour plus de concentration, fut donc donné en première audition le Concerto da Camera en trois mouvements de Dominique Preschez : voix et guitare, quintette à cordes et timbales, tous sous la direction de Thierry Pélicant. Musique dense et exigeante, complexe mais d'une intense lisibilité, poésie tendue et puissamment éloquente : l'œuvre demande à être maintes fois écoutée pour en apprécier tant les parties que la somme. Si la guitare, délicatement amplifiée, sonnait superbement dans Satie et les Trois Mélodies, elle fut hélas couverte par la dynamique du quintette à cordes. Avec pour conséquence un déséquilibre préjudiciable à la réelle appréciation des solistes, la voix elle-même semblant incomplètement intégrée. Qu'à cela ne tienne : le Concerto da camera et les Trois Mélodies viennent de paraître en CD chez Polymnie (3), par les mêmes interprètes-créateurs, avec en complément le Concerto pour accordéon Court métrage. Cas de figure idéal après une création sur le vif pouvant sembler « insaisissable », toujours sans repentir pour l'auditeur ou possibilité de suspension pour intégrer pleinement ce qui est nouveau : on pourra réécouter l'œuvre à loisir dans des conditions optimales.
 
Michel Roubinet

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Paris, Oratoire du Louvre, 5 octobre 2017
 
(1) www.concertclassic.com/article/judith-symphonie-de-jean-guillou-le-disque-de-la-semaine
 
(2) paraty.fr/portfolio/erik-satie/
 
(3) www.polymnie.net
 
 
Sites Internet :
 
Dominique Preschez
dominiquepreschez.com
 
Sébastien Llinares
hsebastienllinares.wordpress.com/category/actualite/
 
Concerts 2017-2018 à l'Oratoire du Louvre
oratoiredulouvre.fr/concerts-eglise.php

Photo D. Preschez © DR

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