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​Die Fledermaus au CNSMDP – Un chiroptère aux ailes de plomb – Compte-rendu

Facétieux, le communiqué du CNSDM annonçait que les étudiants du Conservatoire avaient choisi La Chauve-souris pour redorer le blason d’un animal récemment accusé de bien des maux, « la légèreté et le lyrisme sautillant » de Johann Strauss ayant milité pour ce choix. Hélas, le spectacle proposé semble à peu près aussi guilleret qu’un pangolin en deuil.

Ce n’est pas l’aspect musical de cette production qui est en cause, mais bien la mise en scène. Nicola Raab s’est fait connaître en France avec une Sémiramis à Nancy, une Francesca da Rimini et une Roussalka à Strasbourg : restait à voir de quoi elle était capable dans la comédie. C’est bien simple, Die Fledermaus cesse tout bonnement d’en être une. Certes, la farce boulevardière adaptée de Meilhac et Halévy a beaucoup vieilli, certes les dialogues parlés sont difficiles à interpréter pour les chanteurs, mais il est toujours possible d’inventer des solutions pour surmonter ces obstacles, comme le prouvait encore récemment l’admirable version montée à Rennes pendant le confinement. Ici, les dialogues sont réduits à une phrase ici et là, sauf au dernier acte où les langues se délient un peu. Pour qui n’aurait jamais vu La Chauve-souris, il est sans doute bien difficile de savoir qui est qui, et de comprendre les enjeux de la pièce.
 

© Ferrante Ferranti - CNSMDP

Dans le programme, Nicola Raab explique avoir voulu jouer sur la situation de ces jeunes étudiants qui doivent entrer dans un personnage en même temps que dans un costume : « A travers le jeu de rôle, c’est une quête d’identité qui est menée ». Evidemment, Frosch devient un personnage sinistre, son texte étant remplacé par des monologues lugubres. Passe encore que le résultat scénique n’ait absolument rien d’amusant ou de pétillant, l’ennui est que la morosité du plateau rejaillit sur le chant.
Dans la fosse, Lucie Leguay déploie pourtant une énergie des plus réjouissantes, et sa direction épouse sans lourdeur les courbes des valses et des polkas dont la partition est émaillée. Les tempos sont le plus souvent rapides, mais sans excès, et l’orchestre du Conservatoire se plie docilement au style viennois. Tout de noir vêtu, le chœur ressemble plus à un groupe de manifestants soucieux d’en découdre avec les forces de l’ordre, par sa démarche conquérante comme par son chant vigoureux.

© Ferrante Ferranti - CNSMDP

Quant aux solistes, tous ne sortent pas indemnes de l’épreuve théâtrale qui leur est imposée. Seul Alfred a droit de sourire, car il ne comprend pas grand-chose à ce qui lui arrive, et Yeongtaek Seo séduit par la douceur de ses aigus caressants. Orlofsky est relativement épargné, puisque le personnage est censé être revenu de tout : Floriane Hassler lui prête une voix aux riches couleurs graves (mais pourquoi, pendant « Chacun à son goût », faut-il que le chœur lui tourne le dos, fasciné par des vidéos d’Adèle enfilant sa robe ou d’Eisenstein se faisant raser la barbe ?). Par miracle, le Dr Falke échappe à la morosité ambiante, et Matthieu Walendzik y déploie un beau timbre. D’Adèle, Clémence Danvy (en alternance ave Marie Lombard) a la virtuosité, mais ses suraigus ne sont pas toujours très agréables à entendre, et le personnage n’a guère le loisir d’exister. Le rôle d’Eisenstein est écrit de telle sorte qu’il n’offre pas à Benoît Rameau beaucoup d’occasions de briller, mais l’on remarque son abattage et son expressivité. Enfin, Parveen Savart est d’abord une Rosalinde dure, sans grand charme dans le registre léger : la Czardas semble convenir beaucoup mieux à sa personnalité, mais la soprano s’épanouit bien davantage après l’entracte, lorsque des dialogues un peu plus fournis l’aident à incarner l’héroïne.

Laurent Bury

J. Strauss fils : La Chauve-souris – Paris, CNSMDP (Salle Rémy-Pflimlin), 2 mars ; prochaines représentations  les 4, 5, 7,  8 & 9 mars 2022 (à 19h30, hormis le 8 à 14h30, repr. scol.) Retransmission en direct le vendredi 4 mars / www.conservatoiredeparis.fr/fr/saison-20212022/die-fledermaus
 
Photo © Ferrante Ferranti - CNSMDP

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