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​Dichterliebe par Elsa Dreisig aux Lundis Musicaux du Théâtre de l’Athénée – Une poète à l’œuvre – Compte-rendu

 
Entendre l’intégrale des Dichterliebe (Les amours du poète) de Robert Schumann par une soprano n’est pas si fréquent. Ce cycle composé en 1840 sur des poèmes de Heine a été écrit pour une voix masculine ; baryton et ténor aimant s’y plonger à tour de rôle. Les voix féminines s’attaquent bien moins souvent à l’Opus 48 (Nathalie Stutzmann en avait gravé une très belle version chez RCA en 1993). Pour cette nouvelle soirée des Lundis Musicaux de l’Athénée, la soprano Elsa Dreisig (photo) s’est lancée à son tour dans le vaste monde schumanien, au fil d’un programme construit de manière très originale.

Accompagné par le pianiste Romain Louveau (1), la soprano aborde les seize lieder comme autant de petites scènes où l’amour naissant déborde dans les premières pages, avant de devenir plus fragile, pour ensuite se déliter jusqu’à cette fin tragique, irrévocable.
Le jeu d’actrice bien rôdé de la chanteuse, habituée à se produire sur les plus grandes scènes lyriques, est un atout pour une musique qui nécessite de passer de la déclaration intime à la douleur, puis au chagrin le plus brutal. Elsa Dreisig réussit à nous transporter dans ces différents états émotionnels sans jamais alourdir le propos.
La diction est d’une précision admirable (son expérience dans la troupe du Staatsoper de Berlin durant plusieurs années l’a indéniablement aidée) et quand on sait l’importance des mots pour le compositeur – il hésita longtemps entre la musique et l’écriture – on ne peut que saluer cette attention. Son Ich grolle nicht est incisif et piquant, avant un Und wüßten's die Blumen d’un charme fou. Et la traduction proposée en surtitrage par Antoine Thiollier permet d’apprécier davantage encore la puissance des vers de Heine.

Romain Louveau accompagne la chanteuse et la soutient, tout en réussissant à exprimer un texte sous-jacent ; ce que les mots ne peuvent exprimer ... Le postlude pianistique final est saisissant. Le pianiste ne cherche pas à cultiver l’image romantique que l’on accole à cette musique. Sous ses doigts, les Dichterliebe sont tout autres : les harmonies se font sévères et âpres. Passionnante approche.
 

Romain Louveau © romainlouveau.com

Avant le si triste n° 13e « Ich hab' im Traum geweinet », les musiciens ont placé la Romance op.22 n°1 pour violon et piano de Clara Schumann, confiée au violoniste d’origine bulgare, Nikola Nikolov – membre de l’Orchestre de Paris depuis 2008. Ce choix de scinder ce cycle pourrait surprendre à la lecture du programme mais la présence de Clara Schumann n’est en rien anodine : Robert a composé ce cycle l’année de son mariage après s’être battu durant plusieurs années avec son futur beau-père pour obtenir la main de la jeune femme. L’esprit de Clara plane sur les Dichterliebe.

La seconde partie de soirée débute par la Deuxième Sonate pour violon et piano op.121 de Robert Schumann, le dernier mouvement, Bewegt, étant mis en réserve pour la fin du concert. Encore une belle trouvaille permettant de suivre un récit unique. Le violon boisé et sombre de Nikola Nikolov convient idéalement la musique de Schumann. Suit le premier des Fantasiestücke op.73, non moins réussi.
 

© DR

La chanteuse revient en scène pour les deux premiers des 6 Lieder op.13 de Clara Schumann, puis entonne son Beim Abschied, d’un timbre toujours aussi clair et chaleureux.
Ingénieuse idée, enfin, que de clôturer la soirée par un bis réunissant les trois musiciens dans le fameux Morgen de Richard Strauss. Elsa Dreisig démontre une dernière fois son intelligence vocale faisant vivre chaque mot avec une intention remarquable. Une véritable poète.

Notez la soirée du 6 mai dans votre agenda, pour un nouveau rendez-vous des Lundi Musicaux qui réunira Mark Padmore et Julius Drake dans des pages de Schumann, Clarke, Fauré, Hahn et Britten (2)
 
Marion Guillemet

 

(1) Partenaire de prédilection d’Elsa Dreisig, avec lequel la chanteuse a enregistré les étonnantes – et ô combien séduisantes – Chansons de Bilitis de Rita Strohl, dans le cadre d’une intégrale des mélodies de la compositrice bretonne (La Boîte à Pépites)

(2) www.athenee-theatre.com/saison/spectacle/mark-padmore-julius-drake.htm
 
Paris, Théâtre de l’Athénée, 15 avril 2024

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Photo © Warner Classics

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