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​Cyrille Ndjiki Nya, Edwin Fardini et Susan Manoff inaugurent le 21e Festival Jeunes Talents – Caractère et engagement – Compte-rendu

On ne peut que le répéter chaque année : le Festival Jeunes Talents constitue une véritable aubaine pour les mélomanes présents en juillet dans le grand désert musical parisien. Avec Cyrielle Ndjiki Nya et Edwin Fardini, la jeunesse et le talent étaient bien au rendez-vous d’une soirée inaugurale confiée à deux chanteurs particulièrement prometteurs.
 
Edwin Fardini © Xavier Delfosse
 
En janvier dernier, Edwin Fardini s’est signalé en remportant le Grand Prix du Concours « Voix des Outre-Mer » mais, dès avant cette récompense, on avait eu pas mal d’occasions de repérer le baryton martiniquais, que ce soit dans le domaine de la mélodie ou à l’opéra. Personnalité généreuse, profonde musicalité et voix très riche : les qualités de Fardini sont aussi celles de la soprano avec laquelle il partage l’affiche à Jeunes Talents. Formée comme son collègue au CNSMD de Paris, Cyrielle Ndjiki Nya est passée par l’atelier lyrique Opera Fuoco de David Stern et, après avoir remporté en août 2020 le Grand Prix et le Prix du public du Concours international de Chant de Marmande (compétition réputée pour la pertinence de ses palmarès), elle a entre autres fait une apparition (en tant que nouveau talent parrainé) dans le cadre d'un récital de Clémentine Margaine à L’Instant Lyrique en octobre — apparition que François Lesueur a d’ailleurs eu l’occasion de saluer dans nos colonnes.(1)
 
A la cathédrale Sainte-Croix-des-Arméniens – où Jeunes Talents s’est replié comme à chaque fois que la météo l’y oblige –, les deux chanteurs peuvent compter sur l’accompagnement de Susan Manoff dans un programme intitulé « Lovesight » (Vision d’amour) en référence à la mélodie de Vaughan Williams qui ouvre la soirée. Hormis deux Duparc et deux Schubert, les choix des interprètes se sont entièrement concentrés sur le répertoire anglo-saxon. En plus de l’auteur britannique précité, on a pu goûter à des compositions de Barber, Lee Hoiby, Amy Beach, mais aussi à celles d’auteurs d’aujourd’hui : William Bolcolm (né en 1936), Jake Heggie (1961) et Ben Moore (1960). A en juger par le nombre et l’enthousiasme des auditeurs, le pari qui était en l’occurrence fait sur leur curiosité – bien plus grande que pas mal d’organisateurs ne l’imaginent trop souvent ... – s’est avéré gagnant !
 
Susan Manoff & Cyrielle Ndjiki Nya © Xavier Delfosse

Il vrai que ces diverses mélodies, en grande majorité méconnues, ont été d’un bout à l’autre servies par des chanteurs particulièrement engagés – et de surcroît portés par un accompagnement pianistique d’une intelligence et d’une expressivité peu communes.
D’emblée Fardini sait nous plonger dans une atmosphère de recueillement poétique avec Lovesight et Silent Noon (Vaughan Williams) et manifeste un profond sens de la caractérisation. Cyrielle Ndjiki Nya n’est pas en reste sur ce point avec deux Duparc (Chanson triste / Au pays où se fait la guerre) d’une expressivité jamais surchargée. Confidence d’un cœur lourd et inquiet opposée à une humeur plus légère : Kriegers Ahnung et Die Taubenpost, par leur justesse de ton, donnent envie d’entendre Fardini dans de grands cycles schubertiens.
Tout ce qui suit est infiniment plus rare mais non moins convaincant : sentiment de solitude puis tendresse avec la soprano dans The Desire for Hermitage et A Slumber Song of the Madona (Barber) ; poésie et passion de Fardini dans Youth and Love, bouleversante expression du bonheur perdu dans Whither must I Wander – l’un des grands moments de la soirée –, deux extraits des Songs of Travel de Waughan Williams sur des texte de Stevenson.
 
L’atmosphère change avec des extraits des Cabaret Songs de Bolcolm : avec quel « chien » la soprano s’empare-t-elle d’Amor, avant de traduire l’émouvante confidence de Waitin’. Après une incursion –  torride ! – dans Animal Passion de Jake Heggie, la soprano laisse la place à son collègue pour George (ext. des Cabaret Songs de Bolcolm), troublante et dramatique mélodie que le chanteur sert avec une remarquable intelligence psychologique, avant que la passion généreuse de Lady of the Harbour (Lee Hoiby) ne trouve en Cyrielle Ndjiki Nya une porte-parole radieuse et convaincue. En conclusion, les deux chanteurs enlacent leurs riches timbres dans I’m in need of music (Ben Moore), puis plongent dans le flot passionné de A canadian boat song (Amy Beach).
Deux bis (un Barber pour la soprano, un spiritual, le fameux Deep river, pour le baryton) répondent à l’enthousiasme de l’auditoire.
 
Une superbe entrée en matière pour un 21e Festival qui, jusqu’au 24 juillet, multiplie les propositions et les occasions de découvrir de jeunes interprètes d’avenir.

Alain Cochard

 (1) www.concertclassic.com/article/clementine-margaine-et-cyrielle-ndjiki-nya-linstant-lyrique-delephant-paname-nuit-dans-un
 
Paris, Cathédrale Sainte-Croix-des-Arméniens, 6 juillet 2021.
 
21e Festival Jeunes Talents, jusqu’au 24 juillet : www.jeunes-talents.org/festival/
 
Photo © Xavier Delfosse
 
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