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Compte-rendu : Kurt Masur dirige Fidelio - La Musique et L’Esprit


Après le douloureux souvenir laissé par Sylvain Cambreling au Palais Garnier en 2008, empêtré dans le discours beethovenien, retrouver Kurt Masur diriger Fidelio avec autant d'éloquence est une expérience hors du commun. A quatre-vingt-quatre ans, le « Lion de Silésie », directeur musical honoraire à vie de l'ONF, a offert une monumentale leçon de direction d'orchestre. La partition semble n'avoir aucun secret pour ce maître incontesté, grand habitué du répertoire germanique. Présenté sans les dialogues, le drame avance sans attendre, chaque scène se soudant à la suivante grâce un tempo habité par la plus ensorcelante nervosité. Aucun à-coup, aucune dureté, pas la moindre hésitation parmi les pupitres littéralement subjugués par leur guide, musical autant que spirituel.

Comme peu de chef aujourd'hui, Masur vit une partition dont il traduit la beauté ténébreuse et la fougueuse exaltation, avec l'engagement d'un sage qui aurait retrouvé ses vingt ans. On se souviendra longtemps du quatuor « Mir ist so wunderbar » aussi beau qu'un lever de lever de soleil, de la rythmique implacable mais toujours animée d'un feu intérieur des ensembles «Gut Söhnchen, gut, hab'immer Mut » au 1, « Euch werde Lohn in besser'n Welten » et « O namenlose Freude » au 2, de l'embrasement des tutti et du soutien des interprètes, entourés de mille attentions, portés par un musicien capable de respirer et de phraser avec chacun.

Voir ce grand corps s'agiter, ses grandes mains s'ébattre avec ardeur et entendre cet homme hurler avec la musique, a ému le public autant que l'orchestre et les interprètes, tous reconnaissants d'avoir pu vivre pareil moment.

Melanie Diener trouve en Leonore (abordée avec Bernard Haitink à Zürich en 2008) le rôle qui la libère enfin de son habituelle réserve. Son chant athlétique, merveilleusement posé sur le souffle, large et distingué, crépite à la moindre occasion et confère à ce personnage travesti, une troublante intensité dont nous ne la croyions pas capable. Sa présence illumine le plateau sans pour autant écraser ses partenaires et en premier lieu la remarquable Marzelline de Sophie Karthäuser qui enchaîne les succès, l'élégant Jaquino de Werner Güra, ou le toujours impressionnant Kurt Rydl qui, malgré l'usure naturelle des moyens, demeure un admirable Rocco.

Seuls bémols, le choix de Matthias Goerne, trop frêle pour rendre justice à la noirceur de Pizzaro et Burckhard Fritz remplaçant sans conviction Jorma Silvastri dans Florestan, dont il possède certes les notes, mais ni l'aura ni le charisme vocal.

François Lesueur

Beethoven : Fidelio (version de concert) – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 21 février 2011

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Photo : DR

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