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Compte-rendu : Ferveur provençale - Mireille aux Chorégies d’Orange

Opéra mal-aimé dès sa création à Paris au Théâtre-Lyrique en 1864, Mireille de Gounod sur un livret de Carré d’après le poème fleuve de Mistral, ne bénéficie toujours pas du même engouement que Faust ou Roméo et Juliette. Raymond Duffaut, Directeur général des Chorégies d’Orange, entretient avec cette œuvre une relation passionnée comme d’ailleurs Robert Fortune. Celui-ci connaît Mireille comme personne pour l’avoir mis en scène dès 1992 à Avignon puis à Lausanne, Nantes, Liège, Marseille… Cette proximité avec un ouvrage qui peut tenir la dragée haute à bien des partitions du répertoire, se retrouve dans une production marquée autant par l’intimité que par le lyrisme à fleur de peau ou l’expression dramatique.

Malgré la tension perceptible (la Générale n’ayant pas eu lieu en raison d’une panne d’électricité et la Première s’interrompant quelques minutes en raison d’une fugace apparition de la pluie), le spectacle tient toutes ses promesses. Le décor est constitué d’un large écran en pente inclinée sur lequel sont projetés de manière stylisée les différents lieux de l’action et côté jardin d’une plantation d’oliviers, qui respecte parfaitement les caractéristiques du mur du Théâtre antique. La scénographie très habile de Christophe Vallaux s’exprime avec force à travers des références picturales (Van Gogh et sa « Nuit étoilée », Cézanne et ses natures mortes…) ainsi que les éclairages très subtils de Jacques Rouveyrollis. La couleur locale est respectée sans jamais forcer le trait du régionalisme dans les scènes de foule très bigarrées (scène de la cueillette, fête de la Saint-Jean, procession des pèlerins…) entre campagne et Arènes d’Arles, berges du Rhône, nudité de la Crau ou chapelle des Saintes-Maries de la Mer.

La version choisie est celle en cinq actes de 1896 revue par Gounod qui attachait tant de prix à une Mireille qu’il considérait comme sa propre fille. Le jeune chef Alain Altinoglu (à la tête d’un excellent Orchestre National Bordeaux Aquitaine et des Chœurs venus d’Avignon, Marseille et Nice), par la clarté d’un geste précis et suggestif, sait imprimer un élan, une élégance, une fluidité à une musique parfois mozartienne sans négliger luminosité, lyrisme épique et romantisme fantastique (l’acte du Val d’enfer si proche du Freischütz de Weber et de La Damnation de Faust de Berlioz). Un travail d’orfèvre qui triomphe sans frémir des éléments.

De grande qualité, la distribution vocale, entièrement hexagonale, se caractérise par l’homogénéité de l’interprétation. Belle et d’une fragilité à toute épreuve, Nathalie Manfrino incarne une héroïne convaincante qui s’affirme au fur et à mesure de la progression du drame, tenant tête à la montée des épreuves et bravant le destin jusqu’à en mourir. Légèreté de la voix (Chanson de Magali) et transfiguration dramatique (« Voici la vaste plaine et le désert de feu… »). Dans la scène finale, l’émotion l’emporte parfois sur la qualité de la diction, mais ce n’est que détail par rapport à l’excellence de la prestation d’ensemble. Le ténor Florian Laconi en Vincent campe un amoureux très crédible au timbre léger, stylistiquement parfait et d’une qualité d’intonation convaincante.
Impressionnant sur le plan théâtral, l’Ourrias plus brut que nature de Franck Ferrari, personnage noir, haineux, sombrant dans la folie, séduit plus par son identification à ce bouvier camarguais éconduit que par la stabilité de sa voix. Le Ramon de Nicolas Cavallier possède l’autorité naturelle et la prestance requises, tandis que Jean-Marie Frémeau (le père de Vincent), incarne la plus belle tradition (tenue de la ligne, déclamation aisée). Les mêmes caractéristiques sont à mettre à l’actif de Marie-Ange Todorovitch, incarnation saisissante de Taven, la sorcière avisée, qui délivre une véritable leçon de chant français (étendue de la tessiture y compris dans le bas medium et le grave). Plus réservée, Karen Vourc’h (Vincenette) n’en possède pas moins le charme qui sied.

Mention spéciale à la Voix d’en-haut et au Berger d’Amel Brahim-Djelloul, d’une pureté angélique et d’une articulation parfaite qui rappellent les grands moments du chant français.

Ovation méritée du public – et de Roberto Alagna, venu en spectateur - conquis par une production qui donne à Mireille toutes ses lettres de noblesse.

Michel Le Naour

Gounod : Mireille - Chorégies d’Orange, 4 août 2010

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Photo : DR
 

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