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Compte-rendu : Argerich, Maïsky, Neeme Järvi et l’Orchestre de Lucerne - Match au sommet


Voilà encore une de ces soirées à marquer d’une pierre blanche. L’Orchestre de Lucerne a fait escale au Théâtre des Champs Elysées dimanche sous la baguette impériale de Neeme Järvi avec un duo de choc : Martha Argerich et son complice favori Mischa Maïsky. Tous deux ont brillamment défendu la création française du Concerto pour violoncelle et piano commandé par la formation helvète à Rodion Chtchédrine, pièce diaboliquement bien écrite pour les solistes dans la lignée de Prokofiev et de Chostakovitch, agréable à jouer pour les musiciens et à écouter pour le public. C’est le postmodernisme de John Adams à l’heure du Kremlin.

Maisky est chez lui, Argerich aussi, histoire de démontrer qu’elle n’a rien perdu de sa fulgurante technique, d’un sens inné du rythme et d’un toucher reconnaissables entre mille. Pour un peu, la rusée nous ferait croire au génie… d’abord le sien ! Tous deux reviennent pour une Sonate de Franck poétique à souhait. Qu’il nous soit permis pourtant de préférer la version violon-piano… mais l’aisance du délié et de l’articulation de Martha Argerich balaie toute réticence : un grand moment de musique. Järvi père et les musiciens de Lucerne ont enchâssé les précieux solistes entre deux oeuvres aux antipodes, le bref Scherzo capriccioso de Dvorak et la cinglante 9e Symphonie de Chostakovitch.

Le premier fleure bon un parfum de nostalgie romantique sur le Pont Charles entre un murmure des bois et un trait diaphane des cordes. En 1945, Chostakovitch compose l’un des plus beaux pieds de nez de l’histoire de la musique : sur un ton d’abord guilleret, puis de plus en plus grinçant, il décrit le retour d’un soldat rescapé des orgues de Hitler et de Staline à la manière de Stravinski narrant dans son Histoire du soldat le retour peu glorieux d’un pioupiou de la grande guerre… Le cadet ne se gêne d’ailleurs pas pour citer avec insistance le thème de L’Histoire du soldat. L’incroyable humour jamais appuyé de Neeme Järvi est à son affaire et compose une toile sans cesse sur le fil entre dérision et aperçu tragique.

Jacques Doucelin

Paris, Théâtre des Champs Elysées, 20 février 2011.

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Photo : DR

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