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​Clément Mao-Takacs et le Secession Orchestra en clôture du Festival des Bernardins – Le Diable chez le Bon Dieu – Compte-rendu

 

Pour la deuxième édition de son festival, le Collège des Bernardins avait choisi d’aborder le dialogue du bien et du mal à travers la figure des anges et des démons, les derniers étant devenus particulièrement populaires ces dernières années grâce au renouveau de l’angélologie. Pour le concert de clôture, Clément Mao-Takacs (photo) a concocté un programme original respectant cette double composante et allant de la fin du XIXsiècle jusqu’au début du nôtre.
 
Fanny Ardant © Carole Bellaiche

En première partie, L’Histoire du soldat introduit d’emblée le diable sous les voûtes cisterciennes, et même une diablesse, puisque tous les rôles du récit de Ferdinand Ramuz sont tenus ce soir par une récitante, Fanny Ardant en personne. Celle dont le visage est en ce moment sur les colonnes Morris pour le film Les Jeunes Amants prête sa voix (sonorisée) à cette histoire, en familière de l’exercice : en effet, elle n’en est pas à sa première collaboration avec un ensemble orchestral pour des formes relevant du mélodrame de près ou de loin, comme Cassandre de Michael Jarrell. Cette fois encore, l’actrice parvient à trouver le ton, ou plutôt les tons idoines, car outre les différents personnages qu’il lui faut incarner, le texte appelle des types de déclamation divers, tantôt rythmée par la musique, tantôt plus libre. Fanny Ardant a su s’approprier l’écriture si particulière de Ramuz, son style faussement naïf, avec un mélange de respect et de liberté, et elle parvient à merveille en faire ressortir l’humour.

Dirigé par son très virevoltant chef et fondateur, le Secession Orchestra momentanément réduit à une poignée d’instrumentistes trouve lui aussi la dynamique nécessaire à faire vivre la musique de Stravinsky, depuis la fanfare villageoise des premières interventions aux danses du palais du roi, sans oublier cet étrange passage d’illusoire harmonie entre le soldat et la princesse, où l’on se croirait presque revenu à L’Oiseau de feu.
Après l’entracte, place aux anges, au prix d’une sorte de calembour, puisque la Symphonie n°4 d’Arvo Pärt, créée en 2009, ne doit son sous-titre « Los Angeles » qu’à la ville dont l’orchestre fut le commanditaire. Qu’importe si le compositeur estonien n’avait en tête ni chérubins, ni séraphins, mais l’oligarque Mikhaïl Khodorkovski alors incarcéré par Vladimir Poutine, le public est médusé par cette œuvre pour orchestre à cordes, harpe, timbale et percussions, aux multiples climats, et qui évoque parfois un Tchaïkovski qui aurait découvert le marimba et se risquerait à des dissonances inédites.
 

Axelle Fanyo © Voyez-Vous (Vinciane Lebrun)

Enfin, détachée du reste de l’œuvre, la dernière partie d’une autre Quatrième symphonie, celle de Mahler, « Das himmlische Leben », où il est vraiment question d’anges. Conçu dès 1892, cette mise en musique d’un poème du Knaben Wunderhorn a néanmoins eu une vie autonome avant d’être reprise par le compositeur. Si l’on a l’habitude d’entendre cette page confiée à des voix assez légères, le timbre plus opulent d’Axelle Fanyo l’aborde avec une gourmandise qui convient fort bien à un texte où il est surtout question des « bonnes choses qui poussent au jardin du ciel ». Grâce à la largeur de sa tessiture, la jeune soprano investit totalement cette partition et sait en traduire le curieux mélange de plaisir céleste et de joie charnelle.

Laurent Bury

Paris, Collège des Bernardins, lundi 7 février 2022
 
Photo © DR

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