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Cendrillon de Thierry Malandain à l’Opéra Royal de Versailles - Il était enfin une fois… - Compte-rendu

Un vrai cadeau que le Cendrillon dansé à l’Opéra Royal de Versailles (dans le cadre du Festival « Les Voix Royales »), quelques jours après sa création à San Sebastian. «  Ce ballet, dit le chorégraphe, je ne l’ai pas tellement voulu. Je n’en portais pas vraiment le thème puis un concours de circonstances m’a emporté dans cette histoire, avec la demande de Laurent Brunner, directeur des Spectacles au Château de Versailles, lequel souhaitait nous inviter mais avec une Cendrillon, et le désir de l’Orchestre d’Euskadi de participer à une telle entreprise ». Il est ainsi, Thierry Malandain : simple, direct, jamais dupe, souvent surpris de son succès, incapable de se vendre, mais désormais très demandé. Et c’est ainsi que le beau conte a pris naissance: une sorte de récompense pour la fidèle et solide petite compagnie du Malandain Ballet Biarritz, qui a gagné ses galons à la dure, tant l’image de chorégraphe de Malandain, son impossibilité de s’affilier à la moindre chapelle l’isolaient quelque peu. Un ovni, en gloire aujourd’hui dans le temple de l’art français.

Et ce n’est pas son Cendrillon qui l’inscrira dans un mouvement à la mode, car pour le passionné de Giselle qu’est Malandain, moderne de formes mais profondément classique dans l’âme, ce nouveau bébé est assurément à situer dans la grande tradition néo-académique. Avec un langage chorégraphié sur les bases anciennes, mais bourré d’inventions vivantes, piquantes, qui le replacent dans son siècle et non dans quelque vaine démarche nostalgique. Claire et vivement menée, l’œuvre coule entre émotion et drôlerie, accrocheuse, habile et sincère à la fois, avec une beauté plastique qui n’est pas toujours le fait de Malandain, souvent plus âpre et complexe. Il en va parfois ainsi des pièces nées d’un jet, comme naturellement, sans avoir été trop pensées et nourries d’innombrables fantasmes.

Malandain cite Nietzsche dont la phrase « il faut avoir un chaos en soi-même pour accoucher d’une étoile qui danse », lui a donné le déclic créateur, et déclare avec la grâce humble et solide qui lui est habituelle: «  nous avons fait de notre mieux pour chasser les nuages ». Disons qu’il s’inscrit tout simplement dans la lignée des grands qui ont édifié le répertoire classique de Taglioni à Neumeier, sans une ombre de mièvrerie démodée, comme un Fokine sut l’être en son temps, à la fois classique et totalement nouveau, et avec le même talent qu’un Maillot aujourd’hui.

Mélomane à l’instinct très vif, Malandain fait ressentir toute la cruauté burlesque de la partition de Prokofiev, ses sarcasmes et sa noirceur, tout en donnant aux duos des deux héros une dimension lyrique d’une beauté exceptionnelle. Sa petite Cendrillon, la très prenante Miyuki Kanei ,fait ainsi son entrée sur la scène royale avec ses pieds presque nus, tandis qu’autour d’elle pend une débauche d’escarpins. Elaguée, l’histoire se déroule suivant sa ligne habituelle, mais fourmille d’idées percutantes qui la rehaussent : ainsi le sinistre et cocasse tableau formé par la marâtre et ses filles, trio de travestis, où brille particulièrement le long Giuseppe Chiavaro, en robe à ruchés noirs, avançant comme une immense araignée sur ses cannes anglaises. Le rire qu’ils déclenchent n’est pas anodin.

Pour le reste, Malandain a effectivement gardé la dimension onirique du conte, avec une fée - la superbe Claire Longchampt, récemment entrée dans la compagnie où sa longue silhouette et son port de tête de sylphide tranchent avec le physique plus sportif et charnel des danseuses de Ballet Biarritz. Autour d’elle, des elfes tournoyants qui dynamisent le ballet autant qu’ils l’aèrent du voile d’angoisse planant sur la douloureuse condition de la jeune fille malaimée. Des pas de deux rayonnants, intensément musicaux, qui tendent les corps vers une libération venant comme une déchirure au plus profond de leur solitude.

Le tout en noir et blanc, accentuant le caractère mortifère de l’histoire sans la caricaturer exagérément, notamment cette valse qui fait tournoyer les danseurs avec des mannequins en grandes robes du soir, comme des oiseaux de nuit. Là aussi, on apprécie que les costumes de Jorge Gallardo soient dessinés avec une éloquence aussi parlante que simple de lignes : discrets mais sans faute, ils accentuent la beauté franche et coupante du conte tel que l’a dessiné le chorégraphe. Peut-être un tracé de pointe, pour une Cendrillon chaussant ses escarpins magiques, eut-il été pour elle symbole de libération et d’élévation. Mais ceci est une autre histoire… L’essentiel demeure et nous enthousiasme autant qu’il nous émeut, en délicatesse : ce qui n’était pas un rêve pour le chorégraphe le devient aujourd’hui pour le public émerveillé, qui a réservé aux danseurs, transportés de joie de bondir sur ces planches historiques, à la séduction et au message si riche. En tête de pont, outre Miyuki Kanei et Claire Longchampt, Daniel Bizcayo en prince, Giuseppe Chiavaro, Frederik Deberdt, Jacob Hernandez Marin et l’impeccable Arnaud Mahouy ont fait des étincelles, tandis que l’Orchestre Euskadi, dirigé par le pétulant Josep Caballé-Domenech donnait la mesure de sa vitalité et de sa belle couleur sonore : une collaboration à suivre.

Jacqueline Thuilleux

Versailles, Opéra Royal, 8 juin 2033.
Tournée en Espagne et en Italie, puis au Temps d’Aimer, à Biarritz, le 6 septembre 2013, Rens. http://malandainballet.com

Festival « Les Voix Royales », jusqu’au 7 juillet 2013
Rens. : www.chateauversailles.fr

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Photo : Olivier Houeix
 

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