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Cassandre au Théâtre de l’Athénée - Éternelle prophétesse - Compte-rendu

Athénée Cassandre

Pour son grand spectacle de rentrée, le Théâtre de l’Athénée présente Cassandre, sur une musique de Michael Jarrell d’après un texte de Christa Wolf, avec Fanny Ardant dans le rôle solitaire de la prophétesse antique. Le spectacle est repris de celui étrenné en 2015 au 69e Festival d’Avignon, avec les mêmes participants et la même mise en scène, signée Hervé Loichemol. Mais l’œuvre elle-même a connu d’autres aventures, car Cassandre fait partie de ces œuvres élues de la musique contemporaine reprises régulièrement.

L’ouvrage a ainsi été créé en 1994 au Châtelet parisien, pour ensuite essaimer dans différentes productions sur tous les horizons ; de la Finlande à l’Allemagne, de Lucerne à Madrid, et de New York à Buenos Aires, de l’Opéra de Strasbourg au théâtre de la Comédie de Genève, coproducteur avec Avignon de cette dernière production. Mais c’est un drôle d’opéra que Cassandre, sans chant et sans autre voix que celle d’une comédienne. Cette dernière est omniprésente durant la petite heure de l’ouvrage, tissant dans un débit vif le monologue halluciné de la prêtresse oubliée des dieux et des hommes, annonciatrice des malheurs de la cité de Troie, tel que l’a transposé Christa Wolf. Les allusions au contexte Est-allemand, son effondrement (alors pressenti), son oppression, comme aux guerres ravageuses de notre temps et de tous temps, sont manifestes. Michael Jarrell, compositeur né en 1958 et lui-même Genevois, s’approprie la version francophone du texte, à partir de la matrice allemande d’origine, pour en faire un drame tout intérieur que la musique vient sertir.

 

Athénée Cassandre

Un rôle dramatique à la mesure de Fanny Ardant, qui s’en empare avec l’ardeur que l’on connaît à la comédienne. Seule sur scène, et seule devant un drap blanc (pourvu quelques instants de projections d’une cité orientale dévastée) et une première tenture rouge, qu’elle arrache tour à tour, dans une gestique éprouvée entre élans et contorsions, selon la conception froidement minimale d’Hervé Loichemol (par ailleurs directeur de la Comédie de Genève). La voix prend le texte à bras-le-corps et le spectateur à la gorge, avec cette prestance incarnée que sait dégager notre grande tragédienne. On regrette alors seulement une sonorisation malencontreuse de la voix, avec un effet résonnant qui rend parfois le texte inintelligible et dessert le talent de la diseuse. D’autant que l’acoustique de l’intime Théâtre de l’Athénée ne nécessite pas ce genre d’amplification…

Sous la battue scrupuleuse de Jean Deroyer, la quinzaine d’instrumentistes du Lemanic Modern Ensemble placé en contre-haut de la scène, diffuse pour sa part une musique d’une transparente lisibilité. Et quelle musique ! scintillements ou tremblements, jouant de l’assonance, de la répétition ou du cri instrumental. Nulle chapelle et nulle école, Michael Jarrell est entier dans ce raffinement complexe qui ne saurait ressortir aux modes ou aux tendances. Le genre du monodrame lyrique, de Berlioz à Schoenberg, trouve ici sa correspondance renouvelée dans notre époque musicale incertaine.

Pierre-René Serna

Michael Jarrell : Cassandre – Athénée / Théâtre Louis-Jouvet, Paris, 18 octobre. Jusqu’au 22 octobre 2017.

© Comédie de Genève 2015 Marc Vanappelghem

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