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Bertaud, Bouché, Paul, Valastro : quatre chorégraphes au Palais Garnier - Les quatre tempéraments – Compte-rendu

Ils sont jeunes, beaux, leurs corps ont décrit dans l’espace d’inoubliables calligraphies vivantes. Sans qu’aucun n’ait été frôlé par le vedettariat, puisqu’ils ne sont pas étoiles. Autour de la quarantaine, ces quatre garçons dans le vent chorégraphique n’ont qu’une envie, faire sortir de gangues matérielles des états d’âme transcendés, crier leurs rêves et leurs combats grâce à cette danse dont l’Ecole de l’Opéra leur a livré les finesses : ils ont nom Sébastien Bertaud, Simon Valastro, Bruno Bouché et Nicolas Paul. Ce qui donne, pour ce spectacle qui les réunit, un mélange assez hétéroclite de personnalités dissemblables mais marquées – à l’exception de Bertaud – d’une griffe commune, la désespérance.
 
L’idée de l’Académie chorégraphique, l’une des bonnes de Benjamin Millepied, fut de mettre ces jeunes danseurs travaillés par la chose chorégraphique sur la sellette, en les faisant guider par un vétéran de la rébellion sur pointes, William Forsythe, et de leur confier quelques soirées, sur un plateau flatteur et dont ils maîtrisent les chausse-trappes. Ceci dit, avant lui, Brigitte Lefèvre avait déjà largement ouvert la porte aux talents maisons, notamment celui, incontestable, de Nicolas Paul.  
 
Désespérance donc, pour ces apôtres d’un monde meilleur : pour Simon Valastro, The little match girl passion, une sinistre relecture du conte d’Andersen, où le martyre de l’héroïne est mis en parallèle avec la Passion du Christ. Idée qui lui a été donnée par la partition du compositeur américain David Lang, lequel a conçu pour elle une sorte de complainte pour quatre chanteurs et percussions. Psalmodie, images allégoriques, une série de tableaux répétitifs juste scandés par les images chocs qui cristallisent les visions de la petite marchande. Eleonora Abbagnato, blonde et émaciée, et qui n’a plus l’âge d’une Cosette, y déploie pourtant une intensité expressive impressionnante. Pour le reste, une fois saisi le mode contraction-décontraction qui soutient le récit, on se lasse assez vite d’une course à l’abîme qui tend au sur place.
 
Bruno Bouché, lui, est plus accessible visuellement, avec une très belle gestique qui s’épanouit particulièrement dans les longues arabesques, tendues comme un arc, de l’un de ses danseurs préférés, Isaac Lopes-Gomes. Jeux de miroirs, troublante et fragile Marion Barbeau, quête d’un ailleurs, il y a là beaucoup de poésie et on est prêt à succomber au charme triste de cet Undoing World, sur la pénétrante musique de Nicolas Worms. Malheureusement voici que l’intellectuel tourmenté qu’est aussi le doux Bruno Bouché, se laisse séduire par les charmes de la philosophie et introduit dans sa chorégraphie des extraits du cours Spinoza, immortalité et éternité, de Gilles Deleuze (enregistré chez Gallimard). Ainsi utilisé, le texte paraît prétentieux et abscons. Et le beau devient bobo, dommage.

Renaissance (chor. S. Bertaud) © Julien Benhamou

De Nicolas Paul, sans doute le plus abouti des quatre, vient ensuite une œuvre au titre étrange, Sept mètres et demi au-dessus des montagnes. Les danseurs montent et descendent de la fosse vers le plateau en un mouvement incessant  qui fait qu’on ne les voit que de dos, sauf quand ils tournent sur eux-mêmes. Ils s’avancent vers ce qu’on pourrait prendre pour un au-delà , évoqué par des silhouettes floues projetés en hauteur et qui semblent se noyer, comme absorbés par le néant. La chorégraphie, sur le mode répétitif, voire obsessionnel, évolue avec de subtiles variations d’intensité, jette le trouble et secrète une sorte d’angoisse. D’autant que les motets de Josquin Desprez comme base musicale, pour émérites qu’ils soient, n’ont rien de réjouissant. Comme le disait un jeune garçon, interloqué : « l’ennui avec les danseurs contemporains, c’est qu’il sont toujours l’air désespérés ! ».
 
Ce qui n’est pas le cas, heureusement, de Sébastien Bertaud, lequel a ouvert le programme sur Renaissance, un incroyable divertissement du plus pur et du plus beau style académique, enlevé avec brio par des danseurs virevoltants, sur le Concerto pour violon de Mendelssohn (enregistré par Hilary Hahn) : hommage avoué  aux grands maîtres qui ont façonné la danse, au Palais où il continue de se produire, aux figures de style les plus glamoureuses, au scintillement des costumes de fête. Une piquante fantaisie balanchinienne où Hannah O’Neill scintillait tout particulièrement aux côtés d’étoiles accomplies telles Dorothée Gilbert, Amandine Albisson et le bel Hugo Marchand, récemment promu.
Avec des grâces innovantes dans la façon d’enrouler les arabesques sur elles-mêmes, de pirouetter, et une légèreté délicate dans des portés très difficiles à exécuter l’air de rien. Outre un autre maître à la barre : le magique Olivier Rousteing, chargé de faire scintiller les costumes, et dont on sait qu’il a redonné à Balmain tout son lustre. Cela aussi, cette alliance couture-danse, fait partie d’une tradition qui a engendré des merveilles. Il manquait un tableau du style « Brillants » au ballet Joyaux de Balanchine, redessiné par Christian Lacroix. Le voici !
 
Jacqueline Thuilleux

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Palais Garnier, le 13 juin ; prochains spectacles les 16 et 18 juin 2017 / www.operadeparis.fr

Photo ( Bruno Bouché, Nicolas Paul, Sébastien Bertaud, Simon Valastro) © Julien Benhamou - OnP

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