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Benvenuto Cellini à Cologne - Dédié à Paris et à l’humanité - Compte-rendu

Cela se passe à Cologne : en prélude à Benvenuto Cellini, opéra français dirigé par un chef français, François-Xavier Roth prononce une brève allocution pour dédier la représentation aux victimes des attentats perpétrés l’avant-veille à Paris. S’ensuit une Marseillaise, dans l’orchestration de Berlioz, face à un public debout comme un seul homme. Puis une minute de silence, dans un lourd recueillement. Hommage émouvant et édifiant, par-delà les frontières, de la solidarité universelle à travers la population allemande
 
Benvenuto Cellini de Berlioz est censé inaugurer la saison de l’Opéra de Cologne. C’est aussi le moment où Roth prend ses fonctions de Generalmusikdirektor de la cité des bords du Rhin. Un moment solennel, à plus d’un titre donc, que cette première devant une salle comble réunissant toutes les sommités locales. Roth entendait marquer sa venue à la tête des forces musicales de la troisième ville d’Allemagne, avec un compositeur qu’il ne cesse de défendre. Et l’un de ses ouvrages phares, dans une restitution exigeante. Il est ainsi retourné à la version dite « Paris 1 » (selon l’intitulé de la partition critique éditée par Bärenreiter), c’est-à-dire celle originelle, achevée par Berlioz au moment où son Benvenuto Cellini entre en 1838 en répétitions à l’Opéra de Paris (1). Et celle qui justifie le mieux la dramaturgie et l’impétuosité effrénée de l’œuvre. Version ici scrupuleusement respectée, ou à peu près. Car si la musique en est intègrement conservée, elle s’agrémente de pages postérieures (l’air de Cellini au premier acte, et celui d’Ascanio au deuxième) et d’autres passages. Une version « longue », en quelque sorte.
 
Il convient toutefois de savoir que cette série de représentations devait rouvrir l’Opéra de Cologne, bâti dans les années 60 et objet depuis trois ans de travaux. Or, ceux-ci ont pris du retard, beaucoup de retard (il est question désormais d’une ouverture en 2018 !). Après avoir un temps songé à reporter le projet sine die, il a fallu se rabattre en urgence sur une salle de remplacement, le StaatenHaus : palais d’expositions construit en 1911 dans les faubourgs de la ville, improbable lieu d’opéra. Mais six semaines ont cette fois suffi pour l’aménager en conséquence. Manquent toujours, cependant, les machineries d’un vrai théâtre et une fosse d’orchestre. Et, accessoirement, a été réduit le nombre de représentations (après un report de la date de première).
 
Les participants ont donc dû s’adapter. Carlus Padrissa et son équipe de La Fura dels Baus, ont été contraints par ricochet de réviser leur mise en scène. Cela étant, sans sacrifier l’imagination, à en juger par la réalisation. Ce n’est pas la première fois que cette troupe théâtrale, connue pour ses conceptions décapantes, se confronte à une œuvre de Berlioz : La Damnation de Faust pour Salzbourg en 1999, puis Les Troyens en 2009 pour l’Opéra de Valence (Valencia, en Espagne) ; et il nous souvient même d’une Symphonie fantastique mise en image. Avec, régulièrement, un certain talent. À Cologne, cette familiarité avec le compositeur se ressent : dans le refus du dérisoire et un accent porté sur le sentiment transcendant de l’œuvre, son message à la gloire de l’art avec la mort sous-jacente (rappelé par les tristes événements récents). Il y a ainsi une série d’images qui mènent à la réflexion : une gigantesque et omniprésente tête de mort, mais variée dans ses différentes figures, d’une lumière étincelante ou d’un noir pessimisme ; des pieuvres maléfiques, des tubes et ouvertures où surgissent personnages et mains d’outre-tombe, des filins auxquels se suspendent des figurants chorégraphiés (une marque de la Fura), des changements constants de situations et interventions entre des voiles tirés et quelques projections vidéos. L’effet est saisissant. Malgré un côté accumulatif parfois brouillon, dû aux circonstances exceptionnelles n’en doutons pas, et appelé à se régler au fil des prochaines soirées.
 
Ces circonstances expliquent aussi que l’orchestre soit reclus en arrière-scène, derrière l’improvisé plateau installé. Nécessité de fosse absente, faisant loi ! Les couleurs instrumentales (si inhérentes à Berlioz et en particulier à cette partition jaillissante) se perdent donc un peu. Mais la cohésion d’ensemble ne fait pas défaut. La distribution vocale, elle, se coule sans ambages. Sur le papier, devant ces noms internationaux presque inconnus, on pouvait rester dubitatif. Eh bien, non ! L’adéquation de chaque rôle, leur maîtrise du style et de l’élocution, la conviction générale, balayent les préventions. Ferdinand von Bothmer lance un Cellini quelque peu fruste dans ses premières apparitions, pour gagner ensuite en assurance et en fermeté, et soutenir pleinement ce rôle lourd, Artiste héros dans sa splendeur. Emily Hindrichs, d’abord desservie par l’acoustique sèche, trouve vite l’ardeur délicate qui sied à la touchante héroïne féminine, Teresa. Vincent Le Texier, seul francophone de la distribution, campe Balducci, le barbon de l’histoire, avec le brio irrésistible qu’on lui connaît. Katrin Wundsam figure un Ascanio, rôle travesti, d’éclatante facture. Et ainsi tous, du Fieramosca en rodomontades de Nikolay Borchev, au Pape caverneux de Nikolay Didenko, jusqu’au moindre petit rôle (le Francesco de John Heuzenroeder, le Cabaretier d’Alexander Fedin, le Pompeo de Wolfgang Stefan Schwaiger…) de s’acquitter brillamment de leurs attributs. Puisque prévaut une commune adhésion partagée : une « pêche » pour dire crûment et simplement.
 
Le chœur, complexe et intervenant tel un personnage à part entière, n’a pas la tâche aisée, vaquant autour de la petite scène dans ce vaste espace ouvert. D’où, une double direction : Roth au fond devant l’orchestre et le chef du chœur, Andrew Ollivant, le relayant au-devant du plateau. Une fois encore, le résultat est probant, dans l’équilibre et les individualités. Hormis quelques flottements, compréhensibles et perfectibles. Roth peut à juste titre se sentir fier de son ambitieux dessein. Comme quoi, ce Benvenuto colonais s’est joué de toutes les mésaventures ! À tous égards.
 
Pierre-René Serna
 
Berlioz : Benvenuto Cellini, version de Paris, dite « Paris 1 » – StaatenHaus, Opéra de Cologne, 15 novembre, prochaines représentations les 19, 21, 26 et 28 novembre 2015/ www.oper.koeln
 
(1) Pour plus de détails sur les différentes versions de Benvenuto Cellini, on pourra se reporter à notre ouvrage Berlioz de B à Z (Van de Velde).

Photo © www.oper.koeln

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