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Aziz Shokhakimov et l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg – Inattendu et accompli – Compte-rendu

 
Le bonheur est toujours vif de retrouver en pleine forme un orchestre que l’on n’a pas eu l’occasion d’entendre depuis un bon moment. Tel aura été notre cas avec le Philharmonique de Strasbourg qui vient d’offrir un « Concert de Noël » au programme pour le moins inattendu sous la baguette de son nouveau directeur musical Aziz Shokhakimov (photo), jeune artiste né en 1988 dont la carrière a connu un bel essor après qu’il a remporté en 2016 le Karajan Young Conductors Award du Festival de Salzbourg. Nommé à la tête de la phalange alsacienne en juillet 2020, en fonction depuis la rentrée dernière, Shokhakimov – ce n’est aucunement minorer ses qualités que de le noter – peut s’appuyer sur le formidable travail de fond effectué entre 2012 et 2021 par Marko Letonja, musicien discret qui laisse le meilleur souvenir aux instrumentistes strasbourgeois.
 

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Concert de Noël inattendu ? Le mot est faible s’agissant d’un programme où l’on trouve deux rares partitions chorales : Advent op. 45 (extr. de Das Kirchenjahr (1)) de Walter Braunfels (1882-1954) et Christus op. 97, incursion ultime (1846-1847) et inachevée de Felix Mendelssohn dans le domaine de l’oratorio. Des deux réalisations instrumentales qui leur tiennent compagnie, les Variations sur un thème de Haydn de Brahms et la Symphonie pour cordes n° 12 de Mendelssohn, seule la première est une habituée des programmes symphoniques.
La Symphonie en sol mineur, avant-dernière d’une série de douze, est l’œuvre d’un compositeur entrant dans l’adolescence. Une composition d’une maturité surprenante dont Shokhakimov livre une interprétation pleine de fermeté, foisonnante de vie, de clarté et de vivacité dans les mouvements extrêmes (le final ! ), tandis que l’Andante conjugue souplesse de ligne et prégnance entêtante.
 

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Le temps pour le Chœur Philharmonique de Strasbourg et pour la basse Jean-Christophe Lanièce de prendre place, et nous voilà plongés dans la Cantate de l’Avent de Braunfels, compositeur d’origine juive converti au catholicisme durant l’entre-deux-guerres, qui écrivit la première partie de Das Kirchenjahr en 1932-33 : impossible de dissocier Advent du contexte historique dans lequel il est né ... Shokhakimov comprend et traduit toutes les ambiguïtés expressives qui entourent ici des paroles telles que « Débarrassons nous des œuvres des ténèbres » ou « Le temps de la plénitude est venu » ... L’engagement d’une basse au timbre épanoui et d’un chœur formidablement préparé par l’excellente Catherine Bolzinger contribue beaucoup aussi à l’impact d’une partition qui, la foi ayant raison de tout, se referme sur un rayonnant Alleluia.
Espérons que le directeur musical et ses troupes trouveront des occasions de poursuivre l’exploration des trois autres volets de Das Kirchenjahr. Shokhakimov n’abandonne toutefois pas Braunfels : à partir du 19 janvier prochain, il dirigera pour sept représentations Die Vögel (Les Oiseaux), la plus célèbre partition lyrique du compositeur allemand, à l’Opéra national du Rhin. (2)
 

Catherine Bolzinger, cheffe du Choeur Philharmonique de Strasbourg © DR

D’évidence, une fructueuse collaboration s’installe entre le Philharmonique de Strasbourg et le jeune maestro ouzbek. Charismatique, souriant, sans la moindre arrogance dans l’exercice de son art, Shokhakimov obtient le meilleur de ses musiciens d’un geste à la fois précis et très suggestif. La façon dont il creuse les atmosphères des Variations sur un thème de Haydn de Brahms et enchaîne avec fluidité les maillons de l’ouvrage témoigne d’un art particulièrement accompli chez un chef de 33 ans seulement.
Sa curiosité lui fait honneur ; après Advent, il défend le Christus de Mendelssohn avec la même conviction. La luminosité de la soprano Anne-Marie Suire dans le récitatif introductif, la chaleur des Rois mages (Reinoud Van Mechelen, Jean- Christophe Lanièce et Aaron Pendelton) dans leur trio donnent le ton d’une première partie où le Chœur Philharmonique de Strasbourg intervient, exemplaire d’équilibre et de ferveur. Il ne sera pas en reste au cours du second volet, introduit par un saisissant récitatif du ténor. Van Mechelen y manifeste un profond engagement dramatique (quel violence met-il dans les « Crucifiez-le » ... ). On regrette que l’ouvrage n’offre pas plus d’occasions de mettre en valeur les qualités des quatre solistes réunis, mais le but est pleinement atteint et le public, très nombreux, réserve une chaleureuse ovation aux interprètes. Douce nuit/Stille Nacht : en version bilingue, le célèbre chant de Noël tient lieu de point d’orgue à une soirée hors des sentiers battus.
 
Alain Cochard

(1) Outre Advent op. 45, Das Kirchenjahr  ( L’Année liturgique) comprend Noël, op. 52 (1934-1937), La Passion, op. 54 (1936-1943) & Pâques, op. 56 (1938-1944)
 
(2) www.operanationaldurhin.eu/fr/spectacles/saison-2021-2022/opera/the-birds
 
Strasbourg, PMC (Salle Erasme), 10 décembre 2021

Photo © OPS

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