Journal

Alexander Paley au 21e Festival Piano en Valois d’Angoulême – Mémorable soirée et prélude à Gaveau – Compte-rendu

Fondé il y a peu plus de deux décennies par Jean-Hugues Allard et Paul-Arnaud Péjouan (par ailleurs co-directeur de Piano aux Jacobins, à Toulouse, et directeur de L’Esprit du Piano à Bordeaux), le Festival Piano en Valois d’Angoulême a depuis l’origine été le cadre d’événements majeurs tels que les deux derniers concerts de Earl Wild en France, le premier récital français d’Arcadi Volodos, le retour – au terme de près d’un demi-siècle d’absence sur les scènes hexagonales ! - de Sergio Fiorentino ou l’un des tout derniers concerts avec orchestre de Lazar Berman. A côtés de figures illustres du clavier, beaucoup de jeunes interprètes ont pour leur part été précocement découverts par la manifestation angoumoisine. Rémi Geniet, Selim Mazari et Jean-Paul Gasparian par exemple étaient encore élèves au Conservatoire quand, il y a quelques années, Piano en Valois les a invités. Depuis…

A la liste des plus mémorables soirées du festival il convient désormais d’ajouter celle du 16 octobre, qui recevait Alexander Paley dans un programme Rameau-Chopin. On a plus d’une fois dit ici la singularité d’un pianiste dont chaque apparition constitue un moment unique. Originaire de Moldavie (où son premier professeur, né en en France, lui racontait ses souvenirs émus des récitals de Cortot à Paris…), formé au Conservatoire Tchaïkovski de Moscou par Bella Davidovitch, émigré au Etats-Unis en 1988 et citoyen américain, Alexander Paley n’est vraiment pas un musicien comme les autres, le public du Festival Piano en Valois a pu le vérifier.
 
Amoureux de la France et de sa culture, l’interprète aura profité de l’année Rameau pour mettre en route un projet qui lui tenait depuis très longtemps à cœur : l’enregistrement intégral de la musique pour clavier de l'auteur de Dardanus dont le premier volume vient tout juste de sortir réunissant la Suite en la et la Suite en sol du Troisième Livre des Nouvelles Suites de Pièces de Clavecin.(1)
 
La Suite en la, avec sa fameuse Gavotte variée conclusive, occupe la première partie du concert. Toute la première partie ? Oui ! La dilatation du temps musical à laquelle procède Alexander Paley, au disque et plus encore en concert, a de quoi bousculer ceux qui, s’agissant de Rameau au piano, ne jurent que par l’historique et merveilleuse Marcelle Meyer (2) dont l’héritage se prolonge aujourd’hui avec un Alexandre Tharaud. L’option a, on en convient, de quoi déstabiliser au premier abord, mais on se laisse bien vite prendre par la force hypnotique d’un jeu qui rappelle qu’un grand interprète c’est d’abord une idée du son.
Comment ne pas rendre les armes devant pareille capacité à façonner celui-ci jusque dans ses plus infinitésimales nuances de dynamique et de couleur (au passage, bravo à Gérard Fauvin pour le réglage comme de coutume parfait de l’instrument). Lenteur ? Là encore Paley bouscule pas mal de certitudes. Le choix des tempos a pour dessein de mieux sonder le texte musical : vie intérieure de celui-ci et rapidité du tempo sont choses bien distinctes. On un en prend la mesure au cours d’une interprétation assumée sans un temps mort, avec une poésie et un art du chant confondants.
 
A la seconde partie de la soirée revient la totalité des 24 Etudes de Frédéric Chopin. Sacré choc que celui qui, là aussi, attend l’auditoire. Il n’est pas courant de voir ces deux redoutables cahiers enchaînés, moins encore d’y entendre autant … de musique ! Dans des tempos fidèles à la partition, donc différents de ceux de pas mal de tgvesques enregistrements - où l’on ne peut plus dénombrer les montages… -, Paley se montre ô combien fidèle à l’esprit du Polonais.
 « Un Couperin teinté de romantisme », disait Landowska à propos du Chopin des Préludes op. 28. On songe à cette formule en découvrant une interprétation d’une clarté incomparable. Quelle économie dans l’usage de la pédale – et quelles prises de risques insensées à cette fin - : le résultat bluffe, une fois encore, par la foisonnante vie du texte (cette main gauche incroyable de liberté et d’expressivité …). Là où d’autres galopent et «ouvrent le gaz », Paley respire et fait chanter des pages rebattues que l’on croit entendre avec l'émotion de la première fois. Grande arche ou individualisation de chaque morceau ? Pourquoi choisir répond avec une souveraine maîtrise celui dont l’interprétation conjugue ces deux dimensions, portée par une jubilation musicale et pianistique qui signale un immense artiste.
 
Heureux Parisiens qui ont devant eux la perspective du récital qu’Alexander Paley donne à la Salle Gaveau le 4 novembre, avec un programme identique à celui d’Angoulême. Une excellente nouvelle enfin : c’est le beau Steinway utilisé pour le CD Rameau qui sera joué à cette occasion.

Alain Cochard
 
 
(1) 1 CD La Música, distr. Harmonia Mundi
(2) Les fameux  Rameau de la pianiste française viennent d’être réédités, remarquablement remasterisés, chez Erato.
 
Angoulême, Théâtre municipal, 16 octobre 2014
 
Alexander Paley, piano
Œuvres de Rameau et Chopin
4 novembre 2014 – 20h
Paris – Salle Gaveau
www.sallegaveau.com
www.concertclassic.com/concert/rameau-chopin-alexander-paley

Partager par emailImprimer

Derniers articles