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Albert Herring à Toulouse - Britten au vitriol - Compte-rendu

Au milieu de l’injuste ignorance des programmations françaises pour le centenaire Britten, la reprise à Toulouse de l’Albert Herring mis en scène de Richard Brunel (une production déjà vue à Rouen et à l’Opéra Comique il y a quelques saisons) est une aubaine. L’œuvre, tout d’abord, mériterait de sortir de la méconnaissance où elle reste plongée. Non seulement le compositeur anglais tire parti des ressources expressives de la formation de chambre, qui souvent ne pâlirait guère face à une facture orchestrale plus fournie, mais la partition explore des tours comiques qui prolongent de merveilleuse manière le cruel et grinçant humour du livret. Au portrait acide des conformismes sociaux répondent de savoureuses parodies musicales – on reconnaît entre autres des thèmes wagnériens (Tristan, Siegfried), tant que l’on se prend à songer : et si Britten était la meilleure façon de célébrer Wagner...

Cette mécanique de précision, David Syrus l’a remarquablement comprise. L’Orchestre national du Capitole restitue avec art les nuances de cette volubilité affective sans renoncer à d’incisives attaques – que l’on pourrait malgré tout ça et là espérer moins prudentes. Chacun des protagonistes se trouve ainsi porté par cette énergie, et les caractères sont tous aussi bien campés les uns que les autres. Dans le rôle-titre, Sam Furness esquisse une captivante évolution du personnage de simplet en qui réside l’enseignement de la fable, tandis qu’Anne-Marie Owens offre une parfaite Mrs Herring. Craig Vern et Daniela Mack (Sid et Nancy), forment un couple attachant de juvénilité et de vocalité déjà bien assurée. Puissante et charnue, Tamara Wilson fait de Lady Billows un personnage aussi impitoyable que la Kabanicha de Katia Kabanova. Susan Bickley (Florence Pike), ne lui cède en rien : accrochage nasal et commérage font chez elle bon ménage. Les quatre comparses du jury, dont on retiendra le Mr Upfold de John Graham-Hall ou encore Wayne Tigges en Surintendant Budd, sont admirables de lâcheté. Et l’on n’oubliera pas les trois enfants, Eleanor Maloney, Tabitha Tucker et Joseph Mc Watters, témoignage de l’intérêt de Britten pour ces timbres hâlés d’innocence, touchant d’imperfection.

Ainsi servie, la mise en scène de Richard Brunel, jouant habilement de la réversibilité du mur de véranda en rotation, condensation du voyeurisme de la morale, donne la pleine mesure de sa justesse pleine de saveur. Contrepoint peut-être superflus à la musique, les quelques gadgets scénographiques qui émaillent le spectacle – telle l’horloge qui sonne presque toujours dix heures et demi – rehaussent l’ensemble en symbiose avec l’esprit de la pièce. On ne dira jamais assez combien la vérité d’une production peut tenir dans l’interprétation musicale. Démonstration ici remarquablement accomplie.

Gilles Charlassier

Britten : Albert Herring – Toulouse, Théâtre du Capitole, 25 janvier 2013, prochaines représentations : 29 janvier, 1er et 3 février 2013. www.theatre-du-capitole.fr

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Photo : Patrice Nin
 

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