Journal

DOSSIER MUSIQUE A BORDEAUX -Thierry Fouquet, Directeur général de l’Opéra national de Bordeaux – A la tête du vaisseau amiral

Thierry Fouquet

Directeur général de l’Opéra national de Bordeaux, Thierry Fouquet pilote depuis près de deux décennies ce que l’on peut qualifier de vaisseau amiral de la vie musicale bordelaise puisque l’institution dont il a la charge regroupe l’Opéra, le Ballet et l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine.(1)
Polytechnicien de formation, il a occupé divers postes à l’Opéra national de Paris à partir de 1974. Directeur artistique de l’Opéra Comique de 1985 à 1987, puis directeur de cette même salle de 1989 à 1994, il retrouve cette année-là Hugues Gall (auprès duquel il a déjà travaillé à l’Opéra de Paris comme adjoint de direction de 1974 à 1977) pour occuper le poste de Directeur adjoint de l’Opéra de Paris jusqu’en 1996. C’est dire qu’avec sa prise de fonctions à l’Opéra de Bordeaux en mai 1996, un homme d’expérience s’installe à la barre.
 
« Un gros travail de remise en ordre administrative, de révision de certains contrats » l’attend, mais il part « sur de bonnes bases artistiques », même si la situation est loin d’être satisfaisante s’agissant de l’activité symphonique d’un orchestre qui doit alors se satisfaire de la vilaine acoustique du Palais des Sports. Il faudra être patient sur ce point ; le nouvel Auditorium ne sera inauguré qu’en 2013 – mais la patience largement récompensée !
 
La réorganisation administrative va de pair avec une rationalisation du fonctionnement de l’Opéra sur le plan technique. Le Grand Théâtre a fait l’objet de travaux en 1992, mais il reste à améliorer les conditions de travail des équipes. Le directeur général se préoccupe du « développement des ateliers de décors, de la réinstallation des ateliers de costumes et du regroupement de divers points de stockage jusque là dispersés dans la ville. » Forte de cette réorganisation, l’institution bordelaise obtient officiellement le label « Opéra national » en 2001.
 
Celui dont le successeur sera désigné à la rentrée 2015 (et prendra ses fonctions à la rentrée 2016) a le sentiment « de laisser une maison en bon état » et dont le public s’est considérablement accru. « A mon arrivée les spectacles étaient donnés trois ou quatre fois, se souvient T. Fouquet. Maintenant ils le sont cinq, six, voire huit ou dix fois pour les opéras (c’était le cas pour La Bohème en ouverture de saison, de surcroît retransmise dans les cinémas à l’échelon national, et régional pour les scolaires, ndr) et beaucoup plus pour le ballet : nous sommes allés jusqu’à vingt-trois Casse-Noisette l’an dernier, ce qui ne s’était jamais vu dans un opéra de région français ! »
 
Ce choix s’explique par le goût personnel pour la danse de celui qui a été Administrateur de la Danse à l’Opéra de Paris de 1977 à 1980, puis de 1983 à 1985. Il s’exprime d’autant plus aisément à Bordeaux que l’Opéra dispose d’un excellent ballet de tradition classique d’une quarantaine de membres que Charles Jude encadre depuis 1996. Mais à un amour sincère pour un « art exigeant » s’ajoute, T. Fouquet n’en fait pas mystère, le réalisme d’un directeur conscient du fait qu’«une opérette coûte aussi cher qu’un opéra. Six ou huit Vie Parisienne en fin d’année, c’est un maximum » : c’est pourquoi, à la différence de la plupart des institutions lyriques françaises au moment des fêtes, l’Opéra de Bordeaux privilégie un genre permettant de multiplier les levers de rideau à une période propice aux sorties.
 
La fidélisation du public est un signe qui ne trompe pas. « Les abonnements ont connu un développement régulier à un rythme d’environ + 5% par saison ces dernières années et nous parvenons à un plafond que l’on ne peut pas dépasser, constate T. Fouquet ». L’Opéra de Bordeaux récolte les fruits d’une politique en direction du jeune public mise en place dès l’arrivée à Bordeaux de celui qui s’est inspiré des expériences menées à l’Opéra de Paris. Sensibilisation des scolaires, politique tarifaire (« Paradis des étudiants » à l’Opéra, « Pass » à l’Auditorium). Rien d’original sans doute, mais les résultats sont là. Et de beaux souvenirs demeurent pour le directeur, comme cette « centaine de lycéens venus pour assister à une répétition générale de Turandot. Ils arrivaient avec l’air d’aller à l’abattoir et sont ressortis totalement enthousiastes. »
 
Le renouvellement et le rajeunissement du public s’explique aussi par les mises en scène proposées. Avec des « grincements de dents » parfois, T. Fouquet le sait, le public a été amené à évoluer sur ce point. Mouvement qui était moins aisé à obtenir à Bordeaux, plus conservatrice en la matière « qu’à Nantes ou Lyon, villes où existent d’autres habitudes dues à la présence par le passé de directeurs metteurs en scène volontaristes.»
 
Un autre changement important intervenu depuis 1996 tient au rôle de la Région Aquitaine. « A mon arrivée, elle ne s’impliquait que dans le développement de l’Orchestre, elle le fait dans l’ensemble de la maison désormais et est devenue un partenaire au même titre que la Ville ou l’Etat. Nous sommes très impliqués dans le développement de pôles partenaires dans les divers départements, qui reçoivent des concerts, symphoniques ou de musique de chambre, le Chœur et un opéra tous les deux ou trois ans. Le problème tient à ce que la région est assez pauvre en salles ». Des ouvrages tels que Le Tour d’écrou de Britten ou Les Enfants terribles de Glass ont déjà été donnés, mais T. Fouquet sait qu’il sera à l’avenir « nécessaire de proposer des versions réduites de grands titres du répertoire ». L’Opéra de Bordeaux est d’ailleurs actuellement en discussion avec deux ou trois lieux de la ville pouvant servir de plateformes de départ pour des productions allégées de ce type. A l’évidence, c’est un point sur lequel le successeur de T. Fouquet devra se pencher, d’autant que le redécoupage des régions (avec la constitution d’une immense région Aquitaine Poitou Limousin) va considérablement rebattre les cartes…
 
Tout comme celles de la vie musicale bordelaise l’ont été avec la construction de l'Auditorium, officiellement inauguré le 31 janvier 2013. Adieu le Palais des Sports ! Bâtie en plein centre de Bordeaux (par l’architecte Michel Pétuaud-Létang et l’acousticien Eckhard Kahle), cette nouvelle salle (1440 places) a, c'est un euphémisme, transformé la vie de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine. La transition Palais des Sports/Auditorium aura été grandement facilitée par la personnalité et l’expérience du nouveau directeur musical depuis juin 2013, Paul Daniel ; « perle rare » selon le directeur général.
L’ouverture de l’Auditorium n’aura pas été sans incidence non plus sur l’activité lyrique. Dès l’annonce de ce projet, T. Fouquet avait « demandé à ce qu’il y ait une fosse d’orchestre suffisamment grande pour donner des ouvrages que l’on donne mal au Grand Théâtre.» Depuis 2013, l’Opéra de Bordeaux a ainsi pu programmer Salomé, Le Château de Barbe-Bleue, et Tristan et Isolde.
 
Attentif aux artiste en devenir, au même titre qu’Isabelle Masset, sa directrice adjointe, T. Fouquet a contribué à donner de l’Opéra de Bordeaux l’image d’une institution découvreuse où l'on sait faire confiance aux voix nouvelles, aux talents nouveaux plus généralement. La résidence de Pygmalion en est l’exemple. « J’avais repéré Raphaël Pichon à l’époque où il était chanteur, se souvient T. Fouquet, et je n’ai pas hésité à le soutenir lorsqu’il a fondé son Ensemble Pygmalion. Dans le cadre du renouvellement d’une convention d’Opéra national sur 2013-2017, nous avons prévu un accord d’implantation à Bordeaux de l’Ensemble Pygmalion, qui se concrétise par des concerts, des manifestations en région appelées à se développer. Après des opéras en version de concert (Hippolyte et Aricie, Castor et Pollux), la première production scénique de cet ensemble sera bientôt donnée : Dardanus mis en scène par Michel Fau. »
 
Bordeaux a beau bénéficier d’une qualité de vie et d’une vitalité économique que chacun s’accorde à reconnaître, elle n'échappe pas aux contraintes budgétaires du moment. La Ville (dont l’apport représente 70 % des subventions allouées à l’institution) a ainsi annoncé à son Opéra en novembre 2014 une coupe de 1M.€ pendant les 3 prochaines années (sur un budget de 33,2 M.€ en 2014). « Il n’existe aucune possibilité d’effet rapide sur les salaires permanents pour faire face à une telle situation, constate T. Fouquet. On ne peut manœuvrer que sur la partie artistique, comprise entre 8 et 9 M.€. Nous avons donc renoncé à la création d’un ballet prévu pour les fêtes, repoussé à l’année suivante un programme en coproduction avec Toulouse, diminué certains programmes symphoniques. » Le dialogue avec la municipalité a toutefois conduit à un accord pour amortir les effets de cette coupe de 1 M.€ sur chacune de trois prochaines années avec la répartition suivante : 500 000 € sur 2015, 1,25 M.€ sur 2016 et 1,25 M.€ sur 2017, ce qui a permis de « sauvegarder la saison 2015-2016 », note T. Fouquet, bien conscient que « ça aurait pu être pire » et que ses homologues britanniques, italiens ou espagnols sont confrontés à des situations autrement plus difficiles …

Il n’en demeure pas moins que ces paramètres budgétaires auront une incidence sur le projet du successeur de T. Fouquet. Tout comme les travaux que nécessite un Grand Théâtre dont la dernière rénovation date d’il y a vingt-trois ans. « L’évolution de la technique scénique impose des travaux pour rester dans la course. Il va falloir se pencher sur la question dans les années à venir. ». D’ailleurs, une fermeture de 14 semaines du Grand Théâtre avait été envisagée au début de la saison 2015-2016. Elle a finalement été repoussée à une date pour l'instant indéterminée, mais l’ouverture de saison prévue à l’Auditorium demeure : Don Carlo de Verdi sous la direction d’un chef indissociable de l’histoire musicale bordelaise, Alain Lombard
 
Alain Cochard
(Entretien avec Thierry Fouquet réalisé le 20 février 2015)

www.opera-bordeaux.com
 
(1) L’Opéra national de Bordeaux en chiffres
L’ONB est une « Régie personnalisée » regroupant environ 360 personnes – dont 200 artistes permanents – ainsi réparties :

  • 120 musiciens de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine
  • 40 danseurs
  • 40 choristes
  • 80 artistes et artisans des Ateliers et métiers de la scène
  • 80 personnels administratifs

Photo  © Gaëlle Hamalian Testud

Partager par emailImprimer

Derniers articles