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Une interview de Nathalie Stutzmann – En attendant Mefistofele

Contralto qu’il n’est plus besoin de présenter, Nathalie Stutzmann a ajouté depuis 2010 une nouvelle corde à son arc en tant que chef d’orchestre. Après s’être produite avec succès à Monte-Carlo pour L’Elixir d’amour de Donizetti et la version française du Tannhäuser de Wagner, elle dirige début juillet aux Chorégies d’Orange deux représentations de Mefistofele d’Arrigo Boito, à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, dans une mise en scène de Jean-Louis Grinda.
 
 
Quelles sont les raisons qui vous ont poussée à devenir chef d’orchestre ?
 
Nathalie STUTZMANN : Ce n’est pas un hasard car j’ai toujours éprouvé cette envie depuis l’adolescence. Au Conservatoire de Nancy, j’ai étudié le piano, le basson et aussi participé à la classe de direction d’orchestre. Déjà, dans la pratique du basson, j’étais une pionnière car je n’étais entourée que d’étudiants masculins ! Très vite, il m’a paru évident que, malgré mon intérêt pour l’orchestre, j’étais confrontée à l’incompréhension de ceux qui pensaient que cette activité était réservée uniquement aux hommes. Pourtant, ce désir ne m’a jamais abandonnée car je sentais bien que je possédais la fibre pour exercer cette fonction. Ce sont Seiji Ozawa et Simon Rattle qui m’ont mis le pied à l’étrier et j’ai suivi l’enseignement en Finlande de Jorma Panula dont la réputation n’est plus à faire puisqu’il a formé tous les grands chefs d’orchestre de son pays – Esa-Pekka Salonen, Jukka-Pekka Saraste, Mikko Franck et tant d’autres. Je le retrouverai d’ailleurs avec plaisir à la rentrée à Radio France en tant que membre du jury du 4ème Concours Evgeny Svetlanov.

© Sabine Burger
 
Comment avez-vous abordé cette nouvelle activité ?
 
N.S. : J’étais très naïve mais mon expérience avec l’Orchestre de chambre Orfeo 55 que j’ai créé en 2009 m’a permis d’aborder tout un répertoire baroque sur instruments d’époque en même temps que je chantais avec les musiciens des œuvres de Vivaldi, Bach, Haendel... Il y a une part d’empathie, de pragmatisme et de subjectivité pour se confronter à des structures délicates. J’ai l’avantage de pouvoir utiliser ma voix quand je répète, ce qui permet de donner de l’expression à mes explications. Je n’ai pas de mauvaises expériences et le débat sur la place de la femme chef d’orchestre ne s’est jamais vraiment posé à moi. Les rares soucis que j’ai pu avoir ont plus concerné des musiciennes, sans doute une question d’ego. Aujourd’hui je me considère avant tout comme une interprète de musique romantique et je dirige aussi bien les Symphonies de Beethoven que celles de Brahms avec des formations aussi variées que le London Philharmonic Orchestra, l’Orchestre de Philadelphie de Yannick Nezet-Seguin  – qui m’a réinvitée l’an prochain – ou d’autres orchestres européens et américains.
 
Dans quel état d’esprit abordez-vous Mefistofele aux Chorégies ?
 
N.S. : Sans a priori. C’est la première fois que je dirige en plein air et cela constitue bien sûr un défi, en particulier pour la distance entre le plateau et le chef. Simon Rattle dit que si l’on ne sent pas une œuvre et si elle ne brûle pas en vous, mieux vaut ne pas l’interpréter. Mefistofele est le seul opéra de Boito achevé et par bien des aspects, il me rappelle La Damnation de Faust de Berlioz. Esthétiquement très beau mais étonnant par sa structure originale, il participe de l’oratorio et recèle une portée métaphysique qui le rend difficile à mettre en scène et à décrire. Il comporte nombre de récits et une participation importante des chœurs.
Dans une certaine mesure, l’attitude de Boito – bien qu’il ait été le librettiste de Verdi – est proche de celle de Wagner avec son désir d’art total. Il s’agit d’un choix magnifique de Jean-Louis Grinda, directeur des Chorégies car cet opéra s’adapte parfaitement au cadre grandiose du Théâtre antique. Je fais mes débuts avec le Philhar et m’en réjouis, d’autant plus que le casting vocal est de haut niveau avec Erwin Schrott dans le rôle-titre et de grandes voix françaises : Béatrice Uria-Monzon, Marie-Ange Todorovitch ou Jean-François Borras.

© Sabine Burger
 
Comment percevez-vous l’évolution de votre carrière ?
 
N.S. : Il n’est nullement question que j’abandonne le chant et je ne suis pas devenue chef d’orchestre par volonté de changer complètement d’activité. La voix de contralto est merveilleuse et constitue un don du ciel. Je me sens avant tout musicienne et, bien que la direction m’occupe de plus en plus, je ne pense pas avoir encore fait le tour de la question en tant que chanteuse ; par exemple, je m’investis de plus en plus dans le domaine de la vocalité baroque que j’avais jusque-là négligé, et il me reste encore des pages à enregistrer comme les Kindertotenlieder de Mahler. Avec la pianiste Inger Södergren je continuerai à me produire, en particulier dans Le Voyage d’hiver de Schubert et d’autres lieder. Il va de soi qu’être chef d’orchestre nécessite un investissement total, d’autant que je viens d’être nommée à la tête du Kristiansand Symfoniorkester en Norvège, que je continue de diriger l’Orchestre National Symphonique d’Irlande à Dublin et suis artiste associée à l’Orchestre Symphonique d’Etat de São Paulo. Parmi mes projets, outre de nombreux concerts symphoniques, je me consacrerai en 2019 à la Dame de pique de Tchaïkovski à la Monnaie de Bruxelles, en attendant que se réalisent d’autres propositions de même importance dont je ne peux pas encore divulguer la teneur.
 
Propos recueillis par Michel Le Naour le 14 juin 2018

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Boito : Mefistofele
5 et 9 juillet à 21h45
Orange - Théâtre antique
www.choregies.fr

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