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Zimmermann et Boulez au festival ManiFeste de l'Ircam - Œuvres-mondes - Compte-rendu

Matthias Pintscher

 Faire tout un monde d'une œuvre, inclure dans le temps d'un concert l'insaisissable du temps : ainsi pourrait-on, de manière idéale, définir l'objet de toute création musicale ambitieuse. Directeur de l'Ircam, Frank Madlener a ainsi repris cette idée d' « œuvre-monde » et l'a mise en exergue de l'édition 2015 du Festival ManiFeste. Il en a trouvé deux emblèmes dans l'histoire musicale du dernier demi-siècle, avec le Requiem pour un jeune poète (1968) de Bernd Alois Zimmermann et Répons (1985) de Pierre Boulez.
 
Donné en ouverture, le Requiem de Zimmermann n'avait été auparavant donné qu'une seule fois à Paris, il y a vingt ans au Théâtre du Châtelet sous la direction de Michael Gielen, laissant le souvenir d'une œuvre d'une incroyable puissance expressive et émotionnelle, extrêmement moderne par sa forme, tout en continuité et en même temps éclatée par un recours au collage et à des sources sonores hétérogènes (musique électronique, archives sonores, textes lus ou chantés, orchestre de jazz, chœur multiple et grand orchestre sans violons ni altos.
 

Michel Tabachnik

Michel Tabachnik © Jean-Baptiste Millot

Cette fois, l'œuvre n'agit pas avec la même force, la violence en semble un peu érodée. Pourquoi ? Une explication peut-être : l'écriture électronique et la technique du collage ont aujourd'hui vieilli. L'oreille, probablement, s'est habituée aux techniques beaucoup plus fines de l'informatique musicale, telles que l'Ircam les développe sans relâche – et l'on retrouve aussi aujourd'hui cette extrême précision dans l'écriture instrumentale. De fait, le travail de diffusion sonore accompli par le compositeur João Rafael sur le matériau enregistré de l'œuvre (en particulier sa transposition sur un support numérique huit pistes) lui donne plus de clarté – mais il en fait par aussi craquer les coutures. L'écrin de la Philharmonie est ainsi presque trop beau : il permet de diviser le chœur (l'addition des Cris de Paris et du Chœur de l'Armée française) en quatre parties entourant le public. C'est d'un très bel effet, mais cela manque de force.

Deux maîtres de l'équilibre orchestral
 
Pour Répons de Pierre Boulez, c'est tout au contraire : dans une configuration inhabituelle (l'Ensemble intercontemporain sur scène au centre de la salle, les six solistes autour et les haut-parleurs qui donnent vie aux transformations informatiques en temps réel formant un cercle – une sphère même – plus large encore), la grande salle conçue par Jean Nouvel est l'espace idéal pour cette œuvre vieille de trente ans qui n'a pas pris une ride. À la première intervention des solistes, c'est tout un univers sonore qui se déploie : la magie sonore opère, une dramaturgie sonore en trois dimensions qui permet d'approcher la musique autrement.
 
Pour porter ces deux œuvres-mondes, ManiFeste avait fait appel à des maîtres de l'équilibre orchestral, deux compositeurs-chefs d'orchestre (qui ont par ailleurs pour point commun d'être ou d'avoir été directeur musical de l'Ensemble intercontemporain). Des nombreuses pièces de Xenakis qu'il a créées, comme dans ses propres œuvres (l'une ne s'intitule-t-elle pas Cosmogonie ?), Michel Tabachnik s'est toujours attelé à faire surgir le « monde en soi » qu'elles représentent. Sa direction dans le Requiem de Zimmermann, à la tête de l'Orchestre de la Radio de Stuttgart, est foisonnante et ordonnée à la fois – et c'est encore plus sensible dans Photoptosis, toujours de Zimmermann, donné auparavant. Quant à Matthias Pintscher (photo), dont la compréhension de la musique de Boulez est toujours remarquable, il sculpte littéralement l'espace musical de Répons.
 
Jean-Guillaume Lebrun

Paris, Philharmonie 1 – les 2 et 11 juin 2015.
Festival ManiFeste, jusqu'au 2 juillet 2015 / manifeste.ircam.fr

Photo Matthias Pintscher © Aymeric Warmé-Janville 2013

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