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Into the Woods de Stephen Sondheim au Châtelet - Au cœur des contes - Compte-rendu

Il souffle sur les ouvrages de Stephen Sondheim un esprit singulier. Dans la lignée de George Gershwin ou de Leonard Bernstein – dont il fut le parolier, écrivant les lyrics pour West Side Story – ce compositeur de Broadway est de ceux que l'on range sous l'étiquette de la musique « sérieuse », non cependant sans une certaine réticence. « C'est pas du Ronsard, c'est de l'Amerloque » chantait Claude Nougaro. Voire ! Car sous les dehors de la simplicité inhérente au genre du musical, la musique de Sondheim a tout pour désorienter, alternant effrontément composition minutieuse et orchestration à l'emporte-pièce, schémas bien établis et variations inattendues.
 
C'est peut-être plus vrai encore pour Into the Woods, où tout semble découler d'un monde de comptine, comme les histoires découlent des premiers mots du narrateur (l'excellent Leslie Clack) : « Il était une fois... ». Ce quatrième ouvrage du compositeur présenté par le Châtelet depuis A Little Night Music en 2010, fait suite dans le catalogue de l'auteur à Sunday in the Park with George, donné l'an dernier. Sondheim avait alors voulu prolonger la collaboration avec son librettiste James Lapine. Après l'univers du peintre Georges Seurat, ils se plongent avec jubilation dans la forêt des contes de fées, en un mélange indéfinissable d'entrain et de mélancolie.
 
 Le livret est virtuose, qui fait s'entrecroiser au premier acte les personnages aux destins bien connus (Cendrillon, le Petit Chaperon rouge, Raiponce ou Jack et son haricot magique) avant de les livrer, dans le second acte, aux tourments des lendemains de happy end. Stephen Sondheim, qui comme toujours signe les lyrics, anime tout ce petit monde avec une verve inimitable et ce talent incomparable pour donner du rythme par les mots. Le quintette « Your Fault », au deuxième acte, où chacun blâme l'autre d'être responsable de leur malheur, est un modèle du genre.
Lee Blakeley, qui avait déjà mis en scène A Little Night Music, Sweeney Todd et Sunday in the Park with George, a su parfaitement transposer sur le plateau l'agilité du livret. L'espace de chaque conte tantôt s'isole et s'individualise – on retrouve le goût du metteur en scène pour les actions simultanées, déjà à l'œuvre et remarquablement efficace dans A Little Night Music – tantôt se fond dans la forêt, lieu de rencontre, presque matriciel, de toutes les histoires.
 

La scénographie réussit le pari impossible d'un espace féerique dont cependant rien n'échapperait au spectateur. Lee Blakeley peut pour cela s'appuyer sur les décors d'Alex Eales et les lumières d'Oliver Fenwick : leur forêt est d'une profondeur stupéfiante. Et la vache de Jack, créée par le marionnettiste Max Humphries mêle le charme désuet du théâtre de tréteaux à une poésie d'objets digne du Magicien d'Oz.

Into the Woods n'est sans doute pas vocalement l'œuvre la plus exigeante de Sondheim, les rôles y étant assez équitablement partagés. Et même si la soprano Kimy McLaren assume pleinement son statut de premier rôle en Cendrillon, c'est l'ensemble de la distribution qu'il convient de saluer pour son homogénéité. Le directeur du Châtelet, Jean-Luc Choplin, a su réunir année après année une équipe artistique fidèle qui semble prendre plaisir à se retrouver autour des musicals de Sondheim. Outre le chef  David Charles Abell, efficace à la tête de l'Orchestre de chambre de Paris, on retiendra en particulier l'énergie de Francesca Jackson en Chaperon rouge, l'expressivité de Nicholas Garrett (le Boulanger), l'élégance vocale et dramatique de Damian Thantrey (le Prince et le Loup) ou encore les intonations furieuses de la Sorcière de Beverly Klein.
 
Jean-Guillaume Lebrun
 
Stephen Sondheim : Into the Woods – Théâtre du Châtelet, mercredi 2 avril 2014, prochaines représentations les 8, 10 et 12 avril.
 
www.chatelet-theatre.com
 

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