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Werther à l’Opéra national du Rhin – Modernité du regard, éternité des sentiments – Compte-rendu

Forte d’un très riche expérience professionnelle dans son Allemagne natale et en Autriche, mais aussi au Japon –, Eva Kleinitz, nouvelle directrice de l’Opéra national du Rhin en poste depuis septembre dernier, a on le sait à cœur de faire découvrir des artistes qui n’ont pas encore eu l’occasion de se produire à Strasbourg ou, plus largement, en France. Tel est le cas de l'Allemande Tatjana Gürbaca à laquelle la scène alsacienne confie un Werther (une production créée au printemps dernier à Zürich) qui fera à n’en pas douter date dans les annales de l’OnR.

© Klara Beck

« Werther m’apparaît comme un dieu tombé sur terre. Werther arrive en étranger à Wetzlar et insuffle une irrépressible énergie dans ce monde étroit et clos qu’il observe avec le yeux d’un artiste » : ainsi T. Gurbaca résume-t-elle une vision de l’ouvrage qu’elle situe (avec le précieux concours de Klaus Grünberg pour les décors et les lumières, Silke Willrett les costumes) dans un décor unique ; un intérieur entièrement tapissé de bois clair. Univers clos donc, mais que les mouvements des portes ou de certains panneaux (l’un s’ouvrira sur une console d’orgue au II) viennent animer, tout comme un foison de détails, de trouvailles qui traduisent des choix assumés (la merveilleuse invention de ce couple de vieillards enlacés au IV, en arrière-plan de l’ultime échange du héros et de Charlotte).

© Klara Beck

Loin de relever du registre de l’idée-gadget pour régie en manque d’inspiration, ces options participent d’une approche d’une grande force poétique et dramatique ; la transposition dans la modernité – finalement assez intemporelle – n’ayant jamais pour effet d’ «actualiser pour actualiser », mais plutôt d’accentuer la prégnance des sentiments en jeu dans le drame lyrique de Massenet. Convaincante de bout en bout, la conception de T. Gürbaca parvient à son acmé lors d’un Acte IV où, après le – saisissant ! – affolement des aiguilles de la pendule, l’apparition du globe terrestre sur le ciel nocturne déplace l’action dans un ... au-delà.

© Klara Beck

En Werther, Massimo Giordano offre une splendide incarnation servie par un chant nuancé, de l’étrangeté qui sied au « dieu tombé sur terre » à la passion la plus brûlante, tandis qu’en Charlotte – rôle qui prend une dimension particulièrement saillante ici – Anaïk Morel met son riche instrument au service d’une caractérisation très fouillée. Du confort marital à la violence de la jalousie, Régis Mengus (Albert), voix ample et d’un parfait équilibre, montre beaucoup d’intelligence psychologique lui aussi. On ne résiste pas à la fraîcheur et la luminosité de Jennifer Courcier en Sophie, pas plus qu’à la générosité bonhomme du Bailli de Kristian Paul. Loïc Félix (Schmidt) et Jean-Gabriel Saint-Martin (Johann) forment un assez impayable duo, tandis que Marta Bauza (Käthchen) et Stefan Sbonnik (Brühlman) achèvent de démontrer que, du rôle-titre à l’emploi le plus modeste, ce Werther strasbourgeois témoigne d'une implication collective exemplaire. Un travail d’équipe auquel Sandrine Abello (pour les sopranos du Chœur de l’OnR) et Luciano Bibiloni (avec les Petits Chanteurs de Strasbourg et la Maîtrise de l’OnR) apportent leurs appréciables contributions.
 

© Klara Beck

On n’a pas tous les jours l’occasion de saluer la présence d’une femme en fosse. Avec Ariane Matiakh, à la tête d’un Orchestre symphonique de Mulhouse totalement investi, la musique de Massenet se révèle dans sa plénitude. A la manière de T. Gürbaca saisissant l’essence du drame dans toute son intensité, la baguette à l’œuvre ici parvient, par-delà un remarquable travail sur la couleur, à sonder l’écriture d’une partition étonnante tant sur plan de l’instrumentation que celui de son système de « leitmotive » (comme le remarque judicieusement A. Matiakh au cours une interview incluse dans le programme, il conduit à beaucoup insister, musicalement, sur le personnage de Charlotte). Le décor fermé du spectacle évitant toute déperdition du chant dans les cintres, elle peut s’autoriser à « pousser » un peu plus la machine et oser des contrastes, des détails et un relief qui ne nuisent jamais aux voix.

Ariane Matiakh est une musicienne consommée dont la gestuelle se garde de toute « revendication » féministe – façon regardez-je-suis-capable-de-diriger-comme-un-mec – et c’est justement par ce qu’elle ne songe qu’à son art et communique continûment avec le plateau et ses musiciens qu’elle peut tenir la dragée haute à pas mal de collègues masculins – et qu’elle sert vraiment la cause des femmes chefs d’orchestre. Un grand talent, plus, une artiste.

Alain Cochard

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Massenet : Werther – Strasbourg,  Opéra, 9 février ; prochaine représentations les 11, 13, 15, 17 février & les 2 et 4 mars à Mulhouse (La Filature) // www.concertclassic.com/concert/werther-de-massenet-0
 
Photo © Klara Beck

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