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« Une sorte de dinguerie » - L’Amour Masqué selon Emmanuelle Cordoliani, metteur en scène

Les ouvrages lyriques sur des livrets de Sacha Guitry font un retour en force depuis quelques semaines. Après Ô mon bel inconnu à Rennes (lire l’article) et Mozart au Grand Théâtre de Tours (lire l’article), c’est au tour de L’Amour masqué de prendre place sur la scène de l’Auditorium du Musée d’Orsay dans le cadre de la série « Les Masques en musique ». André Messager avait soixante-dix ans lorsqu’il fit entendre cette partition au théâtre Edouard VII, le 15 février 1923, avec Guitry et Yvonne Printemps dans les deux rôles principaux (Lui et Elle). Un quart de siècle après le triomphe de Véronique, l’inspiration du compositeur n’a rien perdu de sa fraîcheur et de son esprit dans une partition qualifiée de « comédie musicale ». Emmanuelle Cordoliani, qui met en scène L’Amour masqué avec la participation de jeunes chanteurs de sa classe d’art lyrique du C.N.S.M.D de Paris, répond aux questions de concertclassic.

Comment percevez-vous L’Amour masqué, ouvrage né au début des années folles ?

Emmanuelle Cordoliani : « Guitry et Messager se situent dans une filiation très française, celle de Marivaux, de Beaumarchais ; elle témoigne d’une certaine façon de regarder les choses, de questionner l’amour, ses illusions, ses surprises. L’œuvre date de 1923, on sent que l’on se situe après la grande guerre. L’Amour masqué est une sorte de dinguerie. Ce n’est pas une œuvre dada pour autant, n’exagérons pas, mais on perçoit, en particulier pendant le bal masqué, que l’on est dans une époque où l’on ne s’interdit plus rien, où l’on se permet même une certaine bêtise. »

Quelle est l’idée directrice de la mise en scène que vous proposez à l’Auditorium d’Orsay ?

E.C. : Ce qui m’a le plus intéressée est la résonance du titre dans l’ouvrage. On croit parfois que le titre s’explique par le bal masqué du deuxième acte. En fait, lorsqu’on regarde l’œuvre de plus près, on se rend compte que tout le monde y avance masqué. Le but de l’histoire est de montrer que les gens se démasquent au fur et à mesure. Au premier acte, tout le monde est masqué, tout le monde prétend être ce qu’il n’est pas. Même dans de tout petits rôles ; par exemple cette servante qui aspire à être, comme Elle, une femme entretenue, etc. Au troisième acte elle avoue qu’elle a toujours rêvé d’être avec un homme âgé, d’avoir une petite maison, une vie toute simple.

C’est une chose que je trouve très belle. Une fois de plus on a affaire à un ouvrage d’initiation où les gens se découvrent et se rencontrent à la faveur des événements. Ayant beaucoup travaillé sur Mozart, j’ai souvent été confrontée à ça. Le couple Elle et Lui raconte quelque chose qui est et sera toujours d’actualité car il touche à l’humanité et non à l’actualité : il est difficile d’aimer quelqu’un car cela suppose que l’on renonce à toutes les idées préconçues sur l’amour – difficulté d’être dans l’instant présent.

Comme chez Marivaux, on se trouve en présence de personnages qui tombent profondément amoureux mais ne s’en rendent pas compte car ils sont tellement persuadés que l’Amour c’est autre chose, autrement, que ce ne sera pas avec cette personne là, etc., qu’il leur faut très longtemps pour s’en rendre compte. Ce qui me plait dans L’Amour masqué c’est ce discours sur l’Amour, l’apparence et le moment où l’on arrive à dépasser cela. Il s’agit d’ailleurs d’un sujet récurrent chez Messager car on l’a déjà connu dans Véronique.

En quoi le fait de travailler avec de jeunes chanteurs a-t-il influé sur votre approche de l’œuvre ?

E.C. : Ce qui est très amusant, c’est que le garçon qui joue le rôle principal (Lui) a l’âge du jeune et pas du vieux – situation assez cocasse. Du coup on est tout de suite dans du théâtre et pas dans une sorte de pseudo-réalisme. Il s’agit d’une histoire extrêmement théâtrale, d’une écriture très théâtrale, partiellement en alexandrins, toujours versifiée. Pas une sitcom, pas une opérette, mais une comédie musicale. Je travaille avec mes élèves et ma préoccupation a été de rendre le spectacle intéressant pour tous. A la lecture initiale j’ai été très emballée par les indications scéniques de Guitry, extrêmement drôles. Le chœur est assuré par un quatuor vocal ; nous en avons aussi fait un chœur antique, un peu à la manière de « Maudite Aphrodite » de Woody Allen. Un chœur antique dans une action en rien antique, qui prend en charge une partie des didascalies afin que le public les découvre. »

Propos recueillis par Alain Cochard, le 21 janvier 2009

André Messager/Sacha Guitry : L’Amour masqué. Avec Julie Fuchs, Florent Baffi, Camille Poul, Chloé Briot, Laurent Laberdesque, Hovannes Asatryan, Zhe Chi, Charlottet Dellion, Dorothée Thivet, Cyrille Dubois, Nicolas Certenais et Emmanuel Olivier (piano). Auditorium du Musée d’Orsay. Les 3, 5 et 7 février à 20h, le 8 février à 15h.

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Photo : Peters Bernard
 

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