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Une interview de Violeta Urmana « Je me console en me rappelant que Maria Callas, elle-même, souffrait avant d'entrer en scène. »

Devenue soprano dramatique après avoir débuté comme mezzo-soprano, Violeta Urmana est à nouveau sur la scène de la Bastille pour interpréter Verdi, un compositeur qu'elle apprécie tout particulièrement. Après avoir campé en 2009 une remarquable Lady Macbeth dans le Macbeth imaginé par Dimitri Tcherniakov, elle revient cette fois avec la Leonora de La forza del destino, un opéra dont les Parisiens ont été privé depuis trente ans. Au pupitre Philippe Jordan et au plateau Jean-Claude Auvray, absent lui aussi de l'Opéra de Paris depuis sa Tosca en 1982. Rencontre avec une cantatrice à qui tout semble réussir.

Vous êtes apparue pour la dernière fois sur la scène de La Bastille dans un Macbeth mis en scène de manière très novatrice et audacieuse par Dimitri Tcherniakov. Vous voici à nouveau invitée pour incarner cette fois Leonora de La forza del destino de Verdi : vous sentez-vous soprano verdien et, si oui, qu'est-ce qui caractérise cette typologie vocale ?

Violeta Urmana : Ah, il est assez difficile de définir ce qu'est vraiment un soprano verdien parce qu'à chaque rôle correspond un type de voix. Pour ce qui me concerne, il faut, je pense, une qualité de voix un peu sombre, des aigus solides bien sûr, mais aussi des notes graves qui ne sont pas toujours faciles à obtenir pour un soprano, même spinto ; atteindre ces extrémités peut être fatigant, mais pour moi qui possède une voix grave et un bon registre aigu, cela ne pose pas de problème. On peut me ranger aujourd'hui dans la catégorie des sopranos dramatiques, ma voix étant tout à fait capable de s'adapter aux diverses exigences et notamment à celles de Verdi. Ce compositeur demande pour chaque personnage une voix particulière qu'il faut trouver, ce qui fait que chaque œuvre est unique. Les qualités requises pour se rapprocher au plus près de la « voix verdienne » sont une sonorité riche, une voix sèche étant à mon avis rédhibitoire, une voix ronde, moelleuse, chaude et dotée de beaux aigus.

C'est d'ailleurs dans un opéra de Verdi que vous avez chanté la première fois à Paris en 1995, dans le rôle de Fenena de Nabucco, avec Julia Varady, Jean-Philippe Lafont, José Cura et Samuel Ramey. A cette époque et pour quelques années encore, vous étiez cataloguée parmi les mezzos. Pour quelles raisons avez-vous dû attendre 2002 pour devenir enfin le soprano que vous rêviez d'être ?

V. U. : Je dois vous dire que lorsque j'ai commencé à étudier le chant, j'ai d'abord été classée parmi les sopranos et pendant quatre ans j'ai travaillé Violetta, Gilda, Lucrezia Borgia, avant de terminer parmi les mezzo-coloratures en raison de mes aigus et de mon timbre de voix plutôt sombre. Je me suis sentie heureuse dans cette tessiture, c'est pourquoi une fois en Allemagne j'ai pu chanter Eboli, ainsi que des rôles plus robustes encore comme Azucena et Amneris que je trouvais trop basse. Mais j'ai également été engagée pour chanter Fenena, puis Sieglinde et surtout Kundry qui me convenait idéalement. Vers 2000 j'ai senti que ma voix ne s'épanouissait plus dans les mezzos et que certains rôles devenaient risqués. Comme il aurait été impossible de procéder à un pareil changement d'une année à l'autre, certains directeurs de théâtres ne m'auraient pas fait confiance, j'ai continué de chanter les rôles de mezzos, tout en préparant cette mutation que je savais indispensable. Je pense aujourd'hui pouvoir aborder une grande partie du répertoire de soprano dramatique, notamment wagnérien.

Comment expliquez-vous que votre instrument n'ait pas souffert de ce changement de tessiture ?

V. U. : Quand j'ai décidé de changer de tessiture, je ne savais pas avec précision ce que j'allais pouvoir chanter, mais il m'était devenu difficile de poursuivre dans cette direction et j'ai suivi ce que ma voix « me conseillait ». Ce qui est amusant c'est que je suis convaincue que je reviendrai à ces rôles de mezzos dans une dizaine d'années. Comme le changement n'a pas été radical, j'ai pu étaler les choses dans le temps, en travaillant avec assiduité et en me faisant aider, conseiller. Je crois sincèrement que le travail quotidien a préservé mon instrument.

Née en Lituanie, vous avez appris le piano avant de vous intéresser au chant. Quelle place votre pays offrait à la musique et à l'art lyrique en particulier ?

V. U. : Aux temps soviétiques, la culture avait une place importante. Dès lors que l'on restait respectueux, les artistes demeuraient libres de s'exprimer. L'Opéra, la Philharmonie, les Orchestres, malgré les restrictions, existaient et aujourd'hui encore même si l'argent manque, la volonté de se cultiver demeure très forte. Je le vois bien lorsque je retourne sur place, le public est comme affamé, il dévore tout ce qu'il peut écouter, voir, découvrir, reste très sensible à l'art, au théâtre et à l'opéra.

Vous aimez raconter que la découverte des enregistrements de Maria Callas a été déterminante et que cette artiste vous a en quelque sorte ouvert le chemin. Qu'a ressenti exactement la jeune étudiante de 16 ans que vous étiez alors ?

V. U. : Oh, je n'en me souviens pas avec exactitude (rires), mais je crois ne pas me tromper en parlant d'une impression très forte. J'aimais chanter dans des ensembles, dans des chœurs d'enfants, en duo ou en trio et cet intérêt s'est affirmé lorsque j'ai réalisé que la musique était un moyen d'expression fantastique. Au moment où j'ai entendu la voix de Maria Callas, j'ai réagi avec complexité face à ce chant dramatique où chaque parole, même si je ne comprenais pas l'italien, exprimait parfaitement l'atmosphère, la situation dans laquelle l’héroïne se trouvait. Je me suis mise alors à écouter et à apprécier Donizetti, Verdi, Bellini. Le virus m'avait gagné.

A Paris vous retrouvez La forza del destino un opéra que vous interprétez depuis 2004. Quels sont les points forts du rôle de Leonora et les moments que vous aimez mettre en avant ?

V. U. : … hum, demande difficile, peut être le courage extraordinaire que doit trouver ce personnage pour endure toutes les souffrances auxquelles elle doit faire face : devenir ermite demande une volonté incroyable, chercher cette lumière qui doit la sauver est la preuve de son inaltérable foi et pourtant malgré ses sacrifices elle ne parvient pas à trouver la paix. A l'instant où elle revoit Alvaro elle ne réussit pas à le sauver et en réalisant que même l'amour ne peut rien, elle reçoit la mort comme une bénédiction. J'adore surtout le finale avec cette mort libératrice, même si l'air « Pace, pace mi dio » est magnifique.

Vous êtes entourée sur cette production de Marcelo Alvarez que vous connaissez bien, de Jean-Claude Auvray et de Philippe Jordan. Comment vivez-vous le fait que cette œuvre n'ait pas été donnée depuis trente ans ?

V. U. : C'est amusant la seule fois où j'ai interprété Preziosilla, c'était avec M. Auvray, qui m'avait fait chanter sur les tables, à Orange en 1996 (rires). Vous dites que La forza n'a pas été représentée à Paris depuis trente ans : c'est incroyable ! Sans vouloir polémiquer, il faut reconnaître qu'il s'agit d'un opéra très difficile à mettre en scène, correctement. Ici nous avons trouvé une solution très belle et surtout très respectueuse ; lorsque j'ai accepté de participer à cette production je pensais qu'il s’agissait d'une reprise et que le travail allait être différent de celui réalisé sur Macbeth, expérience je dois le préciser magnifique. Je suis très heureuse de travailler dans ces conditions, car je suis lassée de devoir jouer dans certains spectacles « révolutionnaires » qui s'avèrent trop souvent stupides ou vulgaires, ce que je ne supporte pas. Sans ne vouloir offenser personne, cette Forza est traditionnelle, dans le bon sens du terme et raconte l'histoire avec des éléments indispensables : tout ce que l'on voit sur le plateau est utile à la compréhension du drame, qui n'a été transposé ni sur la lune, ni sur la planète des singes...

Vous avez déclaré qu'avant de vous sentir soprano, vous n'éprouviez pas l'envie de vous produire en récital. Vous aimez en donner aujourd'hui, cela signifie-t-il que vous avez surmonté votre timidité ?

V. U. : Non elle n'est pas passée ! J'aime donner des récitals et interpréter des mélodies françaises de Duparc en particulier. Je me sens souvent seule face au public et redoute toujours de trébucher ou d'oublier une parole car si cela se produit personne ne peut m'aider, mais cette forme musicale me procure une grande satisfaction, tout en faisant du bien à ma voix en lui permettant de conserver son élasticité, ce qui est primordiale. Pour ce qui est de la timidité, c'est autre chose : je suis moins timide, car avec les années je suis parvenue à développer cette « bestialité scénique » qui est nécessaire pour chanter et ai compris très rapidement que pour être considérée, il faut montrer son engagement, se lancer dans l’arène pour éviter de se retrouver cacher dans les coulisses au moment d'entrer en scène. Plus on est connu et plus la responsabilité qui vous incombe est lourde et le public attend forcément toujours un certain niveau de prestation. Je sens malgré tout que je suis devenue plus courageuse. Avant d'entrer en scène je suis parfois encore nerveuse, mais je suis capable de transformer positivement cette inquiétude et me console en me rappelant que Maria Callas elle-même souffrait avant d'entrer en scène. Il faut apprendre à lutter pour dépasser ses craintes !

Comment vous sentez-vous lorsque vous êtes à Paris pour travailler ?

V. U. : Paris me plaît beaucoup et je suis fan de la Bastille depuis toujours : j'aime cette salle avec son aspect japonais et sa douce lumière, de même que l'acoustique et les conditions de travail qui sont excellentes. Pour résumer, tout ici me satisfait.

Propos recueillis et traduits de l'italien par François Lesueur, le 8 novembre 2011.

Site officiel de Violeta Urmana : http://www.violetaurmana.com

Verdi : La forza del destino
Les 14, 17, 20, 23 26 29 novembre & 2, 5, 8, 11, 15, 17 décembre 2011
Paris - Opéra Bastille
www.operadeparis.fr

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Photo : Christine Schneider
 

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