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Une interview de Stanislas de Barbeyrac, ténor –« J’aime me sentir investi théâtralement »

Calme sous ses airs d’adolescent, Stanislas de Barbeyrac (né en 1984) est à n'en point douter un conquérant, à qui il aura suffi de quelques années pour se retrouver face à Véronique Gens dans une reprise d'Alceste de Gluck qui s'annonce flamboyante (du 16 juin au 15 juillet à Garnier). Jeune ténor prometteur formé par l’Atelier Lyrique de l'Opéra national de Paris, dont il est l'un des porte-drapeaux, il a répondu à nos questions à quelques jours de la première d’un spectacle signé Olivier Py, qu'il répète actuellement, tout en terminant les représentations du Roi Arthus de Chausson  à l’Opéra Bastille (jusqu’au 14 juin).
 
A l’affiche du Roi Arthus à la Bastille jusqu’au 14 juin, vous serez prochainement Admète au Palais Garnier. Quelles impressions, quelles sensations ce grand écart procure-t-il à l’ex-étudiant de l’Atelier Lyrique que vous êtes ?

Stanislas DE BARBEYRAC : Beaucoup de plaisir. J'essaie depuis le départ d'arriver confiant sur cette production, sans doute parce qu'il s'agit pour moi d'une longue et belle histoire. Mon passage à l'Atelier Lyrique m'a en effet permis d'obtenir de nombreux petits rôles, puis d'être régulièrement invité à tenir des parties aussi intéressantes que Narraboth dans Salomé ou Walter dans Tannhäuser ; j'ai malheureusement dû annuler ma participation à Tristan et Isolde l'an dernier. J'ai ainsi pu revenir tous les ans et grâce à cela, me familiariser avec les équipes, ce qui, pour une prise de rôle comme Admète, est important, surtout à ce stade de ma carrière. Il est toujours préférable d'avoir un bon entourage technique et artistique pour que le travail en soit facilité. Je me sens donc, à l'heure où je vous parle, plutôt à l'aise et j'éprouve même le désir de fouler rapidement les planches avec cet Alceste, d'autant plus que j'aime le rôle d'Admète et suis content de porter l'image de l’Atelier. Les deux années que j'y ai passé ont été formidables, nous étions tous très soudés et Christian Schirm a su non seulement établir des liens avec les chanteurs, mais également les suivre en se déplaçant pour voir comment chacun d’entre nous évoluait. C'est un vrai bonheur. Je me sens en quelque sorte un porte-parole, fier de dire que je viens d'une maison qui m'a formé et à laquelle je dois beaucoup.

En 2013, vous interprétiez le petit rôle d’Evandre dans la production d’Alceste réalisée par Olivier Py. Qu’avez-vous retenu de cette première incursion dans l’univers gluckiste vu par ce metteur en scène ?

S.D.B. :  C'est amusant car dès que nous avons commencé les répétitions, j'ai tout de suite pensé que je chanterai Admète très vite. Ecouter Yann Beuron travailler a été très stimulant, car j'ai suivi sa carrière et parce qu'il est une référence dans le chant français, alors vous imaginez ma joie lorsque l'on m'a proposé d'être sa doublure. J'ai compris à ses côtés, en le voyant chanter le rôle, que celui-ci était fait pour moi ; l’œuvre m'a tout de suite parlé et bien que je ne connaissais pas le répertoire, il m'a enthousiasmé. Admète m'est en quelque sorte tombé dans la voix et j'ai su que c'était un bon signe. Nous verrons prochainement ce que cela va donner en scène, mais de prime abord c'était rassurant.

Bien que le rôle-titre d’Alceste soit en tout point écrasant, celui d’Admète n’en est pas moins important : comment l’avez-vous abordé après avoir vu et entendu Yann Beuron l’incarner, qui rappelons-le, remplaçait Roberto Alagna initialement prévu ?

S.D.B. : Nous en sommes déjà à une grosse semaine de répétition. Comme je vous les disais j'ai su assez vite que je chanterai Admète, puisque l’on m’a proposé de participer à la reprise de la production en 2015, rôle que j'avais pu dégrossir en ayant eu l'opportunité de faire une générale avec orchestre : j'ai par la suite laissé de côté la partition pour éviter d'imiter Yann, que j’avais dans l'oreille, avant de la reprendre, il y a cinq six mois, par bribes, en apprenant ici un air, là un récitatif, en essayant de me remémorer quelques souvenirs scéniques, tout en cherchant à mettre de moi-même dans ce personnage. Je ne sais pas comment sera Véronique Gens, une artiste que j'admire, mais que je ne connais pas. Pourrais-je être tactile en sa compagnie ? Aurais-je la possibilité de proposer des choses, de jouer sur la sensualité, la tendresse d'Admète, pour ne pas rester dans la trame du drame antique ? J'en saurai un peu plus dans les jours qui viennent.

Qu’attendez-vous de votre entourage direct sur cette reprise, je veux parler de Véronique Gens et de Marc Minkowski en fosse ?

S.D.B. : Je n'ai surtout pas eu envie d'arriver en répétition en me prenant la tête ; je n'ai ressenti aucune appréhension particulière en amont et comme je suis quelqu'un de sociable, d'accessible, tout s'est passé. Bien sûr Véronique Gens n'est pas n'importe qui, elle a bien plus d'expérience que moi, mais scéniquement nous allons tout faire pour donner le maximum, grâce au soutien vigilant de Marguerite Borie qui reprend la mise en scène. J'ai déjà travaillé avec Marc Minkowski, notamment à Salzbourg pour Davide penitente, je sais comment il se comporte et tout devrait bien se dérouler ; je vais tâcher d'apporter ma couleur, ma petite note personnelle et comme j’aime travailler dans les détails je suis confiant. Marc fait en ce moment des allers et retours car il dirige La Traviata à Londres, mais il sera bientôt là pour nous épauler. J'apprécie particulièrement quand nous pouvons aller loin dans le travail, car je suis ouvert, sans appréhension et disponible. Une bonne ambiance est préférable, car plus nous nous rapprocherons de la première et plus il y aura du stress, c'est inévitable.

Votre tessiture de ténor lyrique vous a permis jusqu’à maintenant d’aborder des rôles et des répertoires divers, où semblent pourtant se détacher Mozart, quelques Verdi dont Alfredo de La Traviata et l’opéra français qui devrait vous fournir dans un futur proche de nombreux personnages. Sur quels critères vous engagez-vous à l’heure actuelle : la tessiture, la langue, la longueur du rôle, son exposition … ?

S.D.B. : Je tiens avant tout à être honnête envers moi-même. Je reçois des propositions, les trie, les étudie et les accepte avec un peu plus de clairvoyance depuis un an, grâce à Tamino abordé à Aix, rôle qui m'a appris à travailler sur l'endurance et grâce auquel je parviens à me projeter dans le futur en réussissant à imaginer ce qui me va et m'ira dans trois ans. Je peux également, depuis cette expérience, me lancer des défis : Alfredo en a été un à l’époque, le contexte était bon et j'ai pu accepter de me mesurer à ce rôle. Il faut dans ce cas réunir le bon théâtre, le bon orchestre et se poser les bonnes questions avec sérénité. Je tiens à privilégier le répertoire mozartien, gluckiste et quelques Verdi ; je suis en revanche plus réservé sur le répertoire français pour lequel je ne me sens pas encore prêt. Romeo est par exemple trop italien, trop aigu pour moi, je lui préférerais Nemorino de L'Elisir d'amore, qui constitue un défi car sa tessiture haute, mais qui me fera j'en suis sûr, du bien, d'autant que le personnage est très intéressant. Je voudrais parvenir à chanter Belmonte, mais avant il y aura eu Renaud dans l'Armide de Gluck, Macduff à Marseille en juin 2106, suivi de près par Don Ottavio que j’aborderai au Festival de Drottingholm.

Après Braunschweig, Carsen, Kusej, Simon McBurney ou Vick, quel regard portez-vous sur la mise en scène lyrique contemporaine ? La trouvez-vous stimulante, irritante, désarmante, alarmante ?

S.D.B. : (Rires)... Et bien un peu tout cela, d’autant que j'aime vraiment beaucoup et de plus en plus, me sentir investi théâtralement ; cela porte l'œuvre vers le haut. Il est indispensable de savoir pourquoi notre personnage est sur scène et comprendre ce qu'il doit interpréter. Les grands metteurs en scène qui prennent le temps de vous expliquer, même un rôle aussi court que celui de Lyonnel que je chante actuellement dans Le Roi Arthus et que j'ai travaillé avec Graham Vick, ce que nous devons jouer et pourquoi, c’est pour moi essentiel car cela rehausse le niveau du chant. Savoir pourquoi nous devons faire telle chose, tel geste, c'est fantastique. J'ai vécu cela à Aix l'an dernier avec Simon McBurney et le fait de savoir d'un point de vue théâtral, quelle est l'attitude la plus juste à adopter, comment s’adresser aux personnages qui nous entourent, jouer, occuper l'espace, tout cela est très utile pour le chant. Je dirais même qu’il y gagne. Tous les artistes que vous avez cités m'ont permis de progresser, de m'investir scéniquement et en répondant à leur attentes j'ai constaté que le public avait été intéressé : je me suis senti porté. D'autres aussi m'ont aidé et je les en remercie car parfois, malheureusement, nous avons le sentiment de perdre notre temps.

Vous avez souvent répété que vous deviez tout à votre professeur rencontré au Conservatoire de Bordeaux, Lionel Sarrazin. Pensez-vous pouvoir vous passer un jour de son enseignement, ou vous en éloigner comme décident de le faire parfois certains artistes ?

S.D.B. : Ma relation avec Lionel est très spéciale, car il m'a fait chanter quand je n’avais aucune notion, aucune culture et ça a été un vrai coup de foudre pour le lyrique. Toutes ces choses sont donc liées à une personne. Je le vois toujours pour vérifier la mécanique et lui poser les questions qui me tracassent. Il me donne des conseils lorsque je lui présente mes rôles, je le consulte car il me connaît, connaît mes défauts et sait très exactement ce qui me convient. J'ai encore besoin de lui car je suis en pleine construction et je sais qu'il va falloir faire des choix. Une oreille objective comme la sienne m'est indispensable, car je sais qu'il ne cherchera jamais à me faire prendre de risque, ce qui explique ma totale confiance en lui. J'ai besoin de lui et pour le moment, n'ai pas envie d'aller voir ailleurs : c'est un ami.

Propos recueillis le 2 juin 2015 par François Lesueur
 
Gluck : Alceste
16, 18, 20, 23, 25 , 28 juin ; 1er, 5, 7, 9, 12 & 15 juillet 2015
Paris – Palais Garnier
www.concertclassic.com/concert/alceste-de-gluck

Site officiel de Stanislas de Barbeyrac : www.stanislasdebarbeyrac.fr
 
Photo © DavGemini

 

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