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Une interview de Norman Reinhardt, ténor – « Dans ce métier, il faut être un peu joueur »

Né à Hickory (Caroline du Nord), le ténor Norman Reinhardt (photo) n'est pas tout à fait inconnu puisqu'il incarnait Belmonte dans une version de concert de L'Enlèvement au sérail de Mozart donnée au TCE en 2015 et dirigée par Jérémie Rhorer (1). Du 12 au 18 octobre prochains, il interprétera son premier Pollione face à la Norma de Cecilia Bartoli dans une version très « cinéma réaliste » imaginée pour la diva par le duo Caurier-Leiser. Nouveau défi pour ce jeune artiste que l'on a rencontré il y a quelques jours, confiant et très heureux d'avoir été choisi pour participer à la reprise de ce spectacle que Paris n'avait pas encore pu applaudir.
 
 
Vous venez d'interpréter West side story à Salzbourg en compagnie de Cecilia Bartoli et vous vous apprêtez  à chanter votre premier Pollione ses côtés, au TCE : comment prépare-t-on un rôle lorsque l'on sait que l'on va devoir partager l'affiche avec une cantatrice aussi célèbre ?
 
Norman REINHARDT : Avec autant de soin et d'attention que les autres, même s'il faut peut être un peu plus de courage. J'ai regardé les aspects scéniques et musicau, étudié les couleurs, les expressions que je pouvais apporter à ce personnage et ai eu la chance de m'entretenir à plusieurs reprises avec Cecilia, qui en plus d'être une grande artiste est également une collègue admirable. Elle est immense sur scène et cela vous pousse à donner le maximum, tout en vous sentant libre d'expérimenter. On pourrait croire que c’est impossible et pourtant elle vous entraîne à essayer de trouver de nouveaux chemins, ce qui est extrêmement engageant. J'ai eu aussi la possibilité de discuter en amont avec les metteurs en scène Patrice Caurier et Moshe Leiser qui savent très précisément ce qu'ils veulent transmettre au public avec cette version très originale, qui a été donnée à plusieurs reprises, toujours avec Cecilia dans le rôle-titre. Ils apprécient beaucoup le fait que les changements de distributions permettent de développer d'autres aspects du spectacle car rien n'est figé et l'on peut sans cesse inventer, cela contribuant à éviter toute monotonie.

On a longtemps confié Pollione à des ténors héroïques au timbre puissant alors qu'aujourd'hui on fait appel à des voix plus lyriques, malléables et légères comme la vôtre ou comme celle de Christoph Strehl, interprète de Pollione en 2016 à Monte-Carlo. Qu'en pensez-vous ?

N. R. : Christoph et John Osborn l'ont en effet chanté. Maintenant c'est possible, le temps est enfin venu. En vérité, je ne pense pas qu'en dehors de cette version tout à fait particulière par son concept et parce qu'elle est jouée sur instruments anciens, je n'aurais pas pu interpréter ce personnage, car les directeurs de théâtre savent que le public attend des Corelli, des Vickers ou des Del Monaco pour chanter Pollione, des voix énormes. Mais dans le contexte de cette production, on a pu penser à moi et me proposer de surmonter ce défi. J'en suis très heureux même si j'ai conscience que cette approche va continuer d'en surprendre plus d'uns, mais elle va permettre de découvrir cet opéra d'une manière différente. Il ne s'agit pas d'une performance comme on a pu en entendre dans le passé, mais un retour à des traditions qui n'ont pas été totalement exploitées. J'aime ce rôle et ne pensais pas pouvoir le chanter, et cela me réjouis de pouvoir l'interpréter en compagnie de Bartoli dans une vision très théâtrale située en plein cœur d'une histoire dramatique, celle de la seconde guerre mondiale.
 
Vous savez qu'il y a un an, le Théâtre des Champs-Elysées présentait une Norma plus traditionnelle avec Maria Agresta, Sonia Ganassi et Marco Berti conçue par Sthéphane Braunschweig ?
 
N. R. : Oui j'ai vu cela : c'est formidable de pouvoir offrir au public des approches aussi différentes. Seule une grande capitale telle que Paris peut se permettre ce type de proposition sans que cela paraisse aberrant.

 

Norman Reinhardt © Michelle Doherty
 
Vous retrouvez justement la scène du TCE sur laquelle vous avez interprété Die Entführung aus dem Serail de Mozart sous la direction de Jérémie Rhorer, dont l'enregistrement vient de paraître : quel souvenir gardez-vous de ce travail ?

N. R. : J'ai passé un très bon moment avec Jérémie que je trouve très talentueux et qui a beaucoup d'esprit. Les souvenirs que je garde sont très positifs ; en revanche, je ne sais pas si nous aurons l’occasion de nous retrouver, mais je l'espère.
 
Vous chantez Mozart, Rossini, Bellini, Tchaïkovski et Stravinsky mais également Weil et Bernstein. Varier les styles, les écritures, les compositeurs et les genres musicaux sans éveiller les soupçons est-il selon vous plus facile aujourd'hui qu'autrefois ?

N.R. : Non je ne crois pas, c'est équivalent. Nous devons faire ce que nous voulons, ce que nous pensons bon pour l'évolution de notre instrument, tout en devant suivre les conseils de personnes qui sont censées nous conseiller, ce qui n'est pas toujours le cas. Dans ce métier, il faut être un peu joueur, être capable de relever les défis dans lesquels on nous imagine : parfois nous y parvenons, parfois nous échouons. J'ai pour le moment eu de la chance en ayant débuté avec Mozart, qui m'a permis d'aller vers des répertoires plus lourds, mais je souhaite pouvoir poursuivre le bel canto et le répertoire français. Manon, Faust me font rêver, mais j'ai conscience du travail à accomplir pour y parvenir car ces répertoires sont spécifiques, à cause des langues, mais aussi du style : le français demande un énorme investissement, sans parler de la ligne et du legato, très difficiles. On croit toujours que tout ce que nous réalisons se fait vite et qu'il n'est pas compliqué de passer d'un rôle à l'autre, mais je vous assure qu'il n'en est rien. Il faut du temps, de la compréhension et, heureusement, j'aime me consacrer à cela. Je n’aurai peut être pas de succès foudroyant, mais j'essaierai en tout cas de m'approcher d'un certain idéal. Je dois prochainement interpréter Ariodante de Haendel avec Cecilia Bartoli au prochain festival de Salzbourg -  et oui, nous ne nous quittons plus ! -  et ce projet me ravit.
 
Propos recueillis et traduits de l’anglais par François Lesueur, le 3 octobre 2016

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 (1) L’enregistrement est désormais disponible chez Alpha
 
Bellini : Norma
12, 14, 16 et 18 octobre 2016
Paris – Théâtre des Champs-Elysées
www.theatrechampselysees.fr
 
Photo © Dirk Brzoska

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