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Une interview de Mireille Delunsch : Elsa enfin

Gérard Mortier lui fait confiance : il la distribue cette saison en Louise puis en Elsa(1). Et elle n’a pas peur de ce défis qui en aurait effarouché plus d’une. Petite conversation avec celle qui fut la saison passée une Mélisande si offerte.

Qui est Mireille Delunsch ? Iphigénie ou Violetta ? Mélisande ou Elsa ? Pourquoi abordez-vous des personnages aux typologies vocales si différentes, voire contraire ?

Le goût, simplement le goût.

Avez-vous conscience d’être une actrice naturelle bluffante ? Lorsque vous vous êtes glissée dans la Mélisande selon Bob Wilson on ne voyait littéralement pas une couture dans votre jeu. D’où vous vient ce talent ?

Ce sont les metteurs en scène qui m’ont appris la générosité. Je n’adhère pas à la facilité qui consiste à dire qu’ils travaillent contre les chanteurs. Au contraire, j’ai voulu immédiatement être attentive au discours du metteur en scène. La première personne qui m’a marqué dans ce sens fut Antoine Bourseiller. Avec lui j’ai compris que même si un personnage n’a qu’un rôle de trois phrases le metteur en scène peut lui donner une réelle importance. Comme je suis une bosseuse née, j’ai préféré me plier aux exigences de ceux ci, et trouver du sens au personnage. Cela vient certainement du fait que j’ai longtemps étudié le théâtre, bien avant de me consacrer à ma voix chantée. Mais l’expérience m’a confortée dans cette attitude. En scène, une chanteuse ne sait rien, pas plus sur son personnage que sur sa place dans le spectacle. On ne contrôle rien, il faut faire confiance à celui qui vous guide, le seul qui ait une vision d’ensemble. Il faut arrêter avec cette certitude que l’on sait mieux que le metteur en scène ce que l’on doit faire. On n’imagine pas quel travail considérable, quelle énergie il lui faut insuffler pour réunir tous ces corps de métiers si divers, les fondre en une cohérence, les mettre au service d’un projet. Lui seul peut donner une âme au spectacle.

Justement, vous avez sauté le pas : A Bordeaux, vous vous êtes mise en scène dans La Voix humaine….

Nous avons construit le spectacle à deux, avec Pierre-André Weitz, le scénographe et le compagnon de route d’Olivier Py, nous nous connaissons depuis très longtemps, nous avons eu le même professeur de chant. Je me suis rendu compte à quel point il était difficile, même avec une seule personne, d’accorder ses idées à celles de l’autre, parfois parce qu’on ne parvient pas à exprimer clairement tout ce qui vous préoccupe. C’est une donnée première, cette clarté nécessaire par rapport à vous même pour que les autres vous comprennent. Autre chose, j’ai réalisé juste avant la première que j’allais peut être me faire huer en tant que metteur en scène. Heureusement cela n’a pas été le cas. J’avais mis tout ce que je voulais réaliser par écrit et j’ai pu mesurer le long chemin qui sépare ce stade de la réalisation finale. J’ai vécu à la fois l’angoisse du concepteur et le fait d’avoir les mains dans le cambouis, une fois confronté à la réalisation. Autant de leçons qui m’ont renforcé dans mon respect des metteurs en scène. Récemment j’ai reçu la vidéo du spectacle. J’ai eu le sentiment de le regarder de l’extérieur, presque comme si ce n’était pas moi qui l’avait réglé.

On peut donc espérer que vous renouvellerez l’expérience. Des projets ?

C’est en cours mais je ne peux pas en parler.

Vous avez chanté beaucoup de musique baroque. Et vous en chantez moins aujourd’hui. Pourquoi ?

Croire que j’ai chanté beaucoup de musique baroque est une illusion entretenue par le disque. Marc Minkowski m’a convaincu d’aborder Gluck, et il m’a fait découvrir un répertoire qui ne convient pas idéalement à ma voix : il la tasse. Sauf la Folie de Platée qui caracole sur trois octaves. Mais cela m’a permis de vivre des expériences formidables, et de rencontrer Marc avec lequel j’ai de nombreuses affinités électives. Mais dans le répertoire baroque, c’est écrit trop bas, à force de le fréquenter ma voix se couvrait. Dans le disque des cantates françaises, Marc a été obligé de donner une des œuvres à Jennifer Smith, je ne pouvais simplement pas la chanter. J’étais heureuse de faire ma première Iphigénie à la scène avec Marc, mais hélas…Non, j’ai une passion pour les opéras français que l’on accuse de ringardise. Mon premier rôle d’importance fut la Marguerite du Faust de Gounod, un opéra qu’on joue de moins en moins. Je voudrais le faire avec Minkowski.

Voilà pourquoi vous avez voulu chanter Louise….

C’est une œuvre magnifique, elle n’a pas vieilli contrairement à ce que l’on a tant écrit. Et pouvoir chanter ma première Louise dans la mise en scène si dense, si luxueuse d’André Engel, c’était participer à une réévaluation de l’ouvrage dans le sens que je souhaitais. Il fallait souffler la poussière amassée par toute une tradition très « opéra comique ».

Vous allez aborder Elsa de Lohengrin. Vous vous estimez donc prête pour les blondes wagnériennes ?

Je suis une soprano lyrique, j’ai besoin d’étendre ma voix. Certains pensent probablement que c’est un risque, qu’il faudrait que je m’économise. Mais justement je suis fatigué de tous ces discours sur le fait de se ménager. Vous croyez que Ben Heppner se ménage ? Le chant c’est une énergie. Il faut s’y donner avec intensité. Et Wagner, c’est vraiment mon monde. Oui, Wagner, la mélodie allemande aussi. Et puis la voix est une chose mystérieuse. J’en parle souvent avec Patricia Petitbon, le fameux aura de la voix. Cette présence que ne peuvent expliquer à elles seules les contingences physiques, résonateurs, voile du palais….Un soir que je chantais Pamina je discutais en coulisse avec un machiniste et au milieu de la conversation j’ai envoyé la phrase Tamino mein. Avec ex abrupto vingt fois le volume sonore de ma voix parlée. Il a sursauté. C’est un mystère cette puissance, et aussi le fait de pouvoir être à la fois en train de discuter en coulisse sans perdre un instant la conscience du personnage, du déroulement de l’action.

Comment travaillez-vous vos rôles ?

Très en amont et tout à la fois. Je lis sur le compositeur, je me documente sur l’œuvre, je chante des bribes de mon rôle, j’étudie l’époque, j’écoute des enregistrements.

Quel rôle voudriez-vous aborder à l’avenir ?

Je ne crois pas au fait de choisir ses rôles. On me propose des rôles. J’accepte ou je refuse. Nécessité fait loi. C’est ainsi, vous êtes contrainte et cela renforce votre travail. Je réalise que la saison prochaine j’assure trois créations….dont le nouveau Peter Eotvös à Lyon. C’est une première pour moi….

Entretien réalisé le 10 mai 2007
Jean-Charles Hoffelé

(1) Wagner/Lohengrin/Opéra Bastille/ Du 15 mai au 11 juin 2007/mise en scène de Robert Carsen/direction musicale Valery Gergiev. Réservations

Photo : © Studio cui cui , Aude Boissaye
 

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