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Une interview de Martin Harriague, chorégraphe – Faire chanter les corps

Le Temps d’Aimer tient bon, et pour sa 30e édition, outre la venue de prestigieuses institutions comme le Ballet du Capitole et les Ballets de Monte Carlo, il met en lumière le travail d’un espoir de la chorégraphie française, Martin Harriague (photo). Des lendemains qui dansent …
 
On l’a découvert en 2016, lors du Concours de Jeunes Chorégraphes classiques et néoclassiques organisé à Biarritz : il avait fait mouche, remportant à la fois le prix des professionnels et celui du public. On est souvent las, en France, d’assister à d’insipides gesticulations marquées juste par des instincts de révolte, de vagues souvenirs de danse allemande ou américaine, des projections narcissiques de peu de rapport avec ce qu’on essaye d’appeler la danse. Puis, une lueur d’espoir : avec Martin Harriague, c’était comme une bouffée de poésie autant que d’intense présence physique qui se mariaient en un style aussi aéré que riche d’expression, et très bien construit. Le sens de la scène, assurément. Depuis, Sirènes, entre autres, a affirmé en 2018 ce talent original, et Thierry Malandain, qui n’est guère sensible aux langages des chapelles ou des provocateurs, a senti chez cet ancien de Ballet Biarritz Junior une force, une inspiration à ne pas négliger, au point de l’intégrer à sa compagnie en tant qu’artiste résident. Un cadeau pour ce discret et pensif bayonnais de 34 ans, qui après un parcours varié, revient chez lui et bénéficie pour ses créations locales d’interprètes dont on sait la qualité. Et pour cette réouverture contre les vents mauvais de la  pandémie, il est là et bien là. Prophète en son pays ? On s’en réjouit.

 
Votre travail est résolument contemporain. Quel rapport gardez-vous avec l’art classique ?  
 
Martin HARRIAGUE : Je n’ai commencé qu’à 19 ans et il était évident que je ne pourrais jamais atteindre le niveau des grands classiques. Heureusement j’avais quelques aptitudes qui m’ont permis de faire face. Je tiens à une certaine fidélité aux codes et je pense que bien évidemment il faut maîtriser son corps pour le libérer, l’oublier pour le rendre parlant. Mais ce fut une étape très dure que de se construire aussi tardivement une structure corporelle puissante. Heureusement, j’ai fait des rencontres fortes, comme celle d’Adriana, directrice de Dantzaz, qui m’a donné confiance.
 
Vos aspirations se sont elles manifestées précocement ?
 
M.H. : Oui, très tôt, car dès l’école on me mettait en avant aux spectacles. J’avais surtout envie d’être sur scène. Mais il est vrai que ce qui me fascinait c’était Michaël Jackson. Je voulais tout voir, tout faire et j’étais porté par une sorte de colère qui ensuite est devenue un élément positif. Bien sûr ma famille aurait souhaité autre chose pour moi, un parcours plus classique ; j’ai donc fait trois semaines d’études de droit … Mais la danse était là, toujours présente, et il s’est trouvé qu’après avoir figuré dans le casting du Boléro de Thierry Malandain à Montpellier, il m’a donné ma chance et m’a engagé au Junior Ballet Biarritz
 
Chorégraphe ou danseur ?
 
M.H. : Très vite chorégraphe, même si je trouve fabuleux de pouvoir grâce à la scène laisser parler librement la part animale qu’il y a en nous, surtout pour moi qui suis quelqu’un de réservé et de toujours un peu à l’écart. Sur scène, on est là pour être aimé, il faut l’admettre. Mais j’ai toujours été très créatif, même avec mes Lego de bambin ! J’aime gagner mon territoire et que cette sorte de sublimé de soi que permet la danse face au public soit démultiplié, explicité par d’autres que soi, c’est exaltant. J’aime partager cette soif de création avec mes interprètes. Je crois aux liens, aux signes.
 
Avec Malandain, quel est votre échange, puisqu’il croit en vous ?
 
M.H. : En tout cas, moi je crois en lui. Il m’a donné mes bases chorégraphiques, je me suis nourri de ses spectacles et il reste l’exemple numéro 1 pour moi, même si je suis une voie beaucoup plus contemporaine. Son esthétique, son écriture, notamment dans son formidable Casse-Noisette, m’émerveillent par leur finesse, leur complexité. Et il m’a donné un conseil que je trouve majeur, car chez lui il n’y a pas de comportement de maître à disciple, juste quelques clefs dans la démarche créatrice, et ce conseil, c’est : «  sois honnête ».
 

Musicalement, quelles sont vos références ?
 
M.H. : Il m’arrive de composer mes musiques moi-même, mais mes socles demeurent Bach et Schubert , avec des faibles pour Massenet – la Méditation de Thaïs, par exemple – ou même Minkus ! Là encore Thierry m’a appris la rigueur : comme pas mal de jeunes chorégraphes d’aujourd’hui, j’ai tendance à utiliser des fragments, à ne prendre que ce qui me semble le meilleur. Lui ne le souhaite pas et conseille plus de fidélité, pour ne pas dénaturer le support et la pensée du compositeur choisi.
 
Quelles furent vos autres références chorégraphiques ?
 
M.H. : Bien sûr, j’adore Kylian et Forsythe. J’ai aussi pas mal dansé en Israël, au Kibbutz Contemporary Danse Theater, avec Rami Be’er, pendant cinq ans et j’ai retenu de mon expérience là-bas la force animale, l’énergie incroyable d’une danse jeune, violente. J’ai aussi beaucoup appris aux Pays Bas, où j’ai travaillé au Noord Nederlandse Dans. J’ai déjà fait des pièces pour de grandes compagnies internationales comme à Leipzig, et je suis incontestablement porté par les problématiques de mon temps, notamment le rapport de l’homme et de la planète. Tout en gardant une ligne esthétique que je souhaite compréhensible, avec parfois des interventions parlées. Car je ne veux pas que ma danse ressemble à ce qu’on appelle en Belgique le Théâtre physique. Le rythme doit y rester présent.
 
On a vu de vous notamment Fossile et le très beau Sirènes, que proposez-vous pour ce Temps d’Aimer pas tout à fait comme les autres ?
 
D.H. : J’aime les pièces de groupe, mais là il s’agit d’abord d’une courte pièce, Serre, qui est une sorte de méditation assez froide sur le rapport de l’homme face à lui-même quand il est contraint à l’isolement, rapport qui va de l’étouffement à l’épanouissement possible. Un cheminement que je confie à l’extraordinaire Mickaël Conte, danseur du Malandain Ballet Biarritz, et l’un de mes interprètes-partenaires de prédilection. Ensuite, un spectacle double combine mon travail avec celui de Antonin Comestaz. Lui présente Cömbö, pour une soliste, tandis que je propose  en duo avec Mickaël, A-Live, une sorte de fantaisie libre, pour faire chanter les corps, auxquels je ne confie aucun message particulier, aucune histoire, juste le plaisir de toucher au cœur de la danse et de ce qu’elle peut apporter de beau et de bon ! Je crois très fort à sa vertu bénéfique comme je crois à la spiritualité de la musique de Bach, majeure pour moi ! Ce qui ne m’empêche pas de rêver d’un Don Quichotte que je trousserais à ma façon, car je l’adore, et sans chaussons bien sûr !
 
Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, le 5 septembre 2020

 

Le Temps d’Aimer
Du 11 au 20 septembre 2020
Biarritz
Serre de Martin Harriague, le 17 septembre, Gare du Midi
Harriague-Comestaz le 18 septembre, Casino
 www.letempsdaimer.com
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