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Une interview de Lionel Sow, chef du Chœur de l’Orchestre de Paris – « Le Chœur est toujours aussi « latin », mais en mieux »

Depuis sa création en 1976, le Chœur de l’Orchestre de Paris éduque le public au plaisir d’un très vaste répertoire. Avec l’ouverture du Chœur aux enfants et aux adolescents, Lionel Sow (photo) a ajouté des couleurs vocales qui élargissent considérablement sa palette expressive. Rencontre avec l’artiste à l’approche d’un Requiem de Berlioz très attendu à la Philharmonie de Paris les 20 et 21 février, dirigé par Pablo Heras-Casado, pour lequel les choristes parisiens feront équipe avec ceux d’Orfeón Donostiarra. Le premier temps fort d’un semestre qui permettra aussi d’entendre la formation, en mai, dans le War Requiem de Britten, à Paris et en tournée en Allemagne et Autriche.
 
Vous dirigez le Chœur de l’Orchestre de Paris depuis 2011. Estimez-vous l’avoir porté à un niveau idéal ?

Lionel SOW :  Si je trouvais le Chœur de l’Orchestre de Paris idéal, je ne serais plus là. Le Chœur a atteint une rondeur de son et une présence musicale remarquables, mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. Un chœur amateur met du temps à se régler à cause des activités quotidiennes ou professionnelles des choristes, mais il en met beaucoup moins à se dérégler à cause des départs de choristes que peuvent occasionner ces mêmes activités. Je ne sens pas ce délitement dans le Chœur et je construis avec plaisir sa maturité artistique en étant content des évolutions qu’il connaît.
 

© A Deniau

Quelles sont ces évolutions ?

L.S. : Le Chœur est devenu rapide dans ses apprentissages. Le niveau de travail est élevé et on avance vite quand on déchiffre, ce que j’apprécie car on évite de s’user en répétitions et en résolution de problèmes de déchiffrage. Les choristes sont impliqués, travaillent beaucoup chez eux et ils aiment toujours chanter ensemble. Les deux tiers d’entre eux suivent des cours individuels auprès de nos sept professeurs de chant qui les font travailler sur l’aspect vocal, le placement du texte et sur la rigueur rythmique pour obtenir un son qui porte jusqu’au public et une belle harmonie. Ils savent aussi contrôler et aligner leur corps pour bien poser la voix sur le souffle et pour maintenir un dynamisme corporel permanent. Ils développent également des repères intérieurs qui compensent les repères sonores que, dans un chœur aussi important et avec un orchestre aussi puissant, leur oreille ne peut plus percevoir.

Ces dernières années, vous avez aussi augmenté le nombre de choristes. Quel est votre critère pour les recruter ?

L.S. : Je choisis mes choristes pour la qualité de leurs voix. Ensuite, j’ai la nécessité de renouveler en permanence l’effectif afin d’éviter le vieillissement de tous les choristes en même temps. Depuis 2012, Le chœur de l’Orchestre de Paris s’est ainsi structuré en trois sous-ensembles : l’Académie : elle rassemble 40 jeunes adultes de 18 à 25 ans qui complètent leur formation chorale tout en participant aux concerts ; le Chœur de chambre, qui se consacre aussi au répertoire a cappella et le Chœur principal, qui représente 50% des effectifs. Réunis, ces trois ensembles constituent le Chœur symphonique de l’Orchestre de Paris, 150 choristes en tout. Depuis 2014, le Chœur de l’orchestre de Paris s’est aussi doté d’un chœur de jeunes de 15 à 18 ans et d’un chœur d’enfants qui se forment au chant en groupe ou avec des adultes. Ils contribuent au renouvellement permanent du Chœur et leur participation au Chœur de l’Orchestre symphonique offre une pluralité de profils, d’âges et de voix qui est la richesse même du chant choral. Le public francilien s’en rendra compte avec la tournée que le Chœur de l’Orchestre et le Chœur de Jeunes feront du 29 mars au 7 avril avec la Messe du Couronnement de Mozart (aux cotés de l’Orchestre national d’Île-de-France dirigé par Anthony Hermus, ndlr). De plus, cet effectif nous permet de répartir les chanteurs selon les œuvres pour leur laisser des pauses et préserver un équilibre entre vie privée et activité chorale. Il nous assure aussi une grande diversité de voix très riches qui me permet de jouer sur les couleurs d’interprétation.

Quelle couleur donnerez-vous au chœur pour le Requiem de Berlioz ?

L.S. : Il n’y a pas trente-six manières de chanter le Requiem de Berlioz : il faut le plus de monde possible, raison pour laquelle le chœur rassemblera 210 choristes, 140 pour le Chœur de l’Orchestre de Paris et 70 pour l’Orfeón Donostiara, qui l’accompagnera. Et puis, il faut être d’un très grand lyrisme tout en chantant avec des voix légères dans des tessitures aiguës, comme dans les chœurs du XVIIe siècle. Les ténors ont parfois des parties de haute-contre, les altos doivent chanter comme des sopranes 2 et les basses deviennent toutes barytons. L’attention ne retombe jamais et le public est toujours saisi par les grands jeux de rupture et les étrangetés berlioziennes. Le Kyrie eleison est un quasi parlando et l’Offertoire est très introspectif avec son chant qui s’étire pendant cinq minutes sur seulement deux notes comme une longue prière. Le Dies iræ ressemble à un choral qui enfle peu à peu jusqu’au Tuba mirum, tout en étant sans cesse interrompu par un souffle spirituel puissant. Les 16 timbales et les quatre fanfares qui, des quatre points cardinaux, ponctuent le jugement divin sur l’humanité prennent le public par leur matériau sonore. A ce moment, l’écoute devient une expérience très particulière. Ou encore, dans le Sanctus, l’association du chœur très léger, des cordes en trémolos et des timbales crée une atmosphère à la fois paradisiaque et mystérieuse. Ce Requiem est spectaculaire et d’une grande beauté formelle.

© A Deniau

Après le Requiem de Berlioz suivra, en mai, le War Requiem de Britten, dirigé par Daniel Harding. Encore un grand moment ?
L.S. : Oui, je pense, car c’est une œuvre magnifique dans la grande tradition anglaise. Même si elle est très différente du Requiem de Berlioz, elle n’est pas non plus conventionnelle avec la présence dans le texte des poèmes de Wilfred Owen. L’œuvre est tonale et parfois dissonante, mais toujours pragmatique parce qu’elle a été écrite pour qu’un chœur amateur puisse la chanter. Elle contient une rythmique et des repères qui simplifient les difficultés. Le chœur contrapuntique bénéficie d’une diversité d’écriture, comme pour le Pleni sunt coeli lorsqu’il devient autonome avec ses tempos propres. Ce War Requiem sera aussi un grand moment car ce sera la première fois depuis dix ans que le Chœur et l’Orchestre de Paris partiront ensemble en tournée. Du 22 au 26 mai, nous donnerons l’ouvrage de Britten à Hambourg, Munich et Linz, en étant de plus accompagnés par le Chœur d’enfants le 22 mai.    

Sur 39 dates de concert (pour 22 programmes différents), vous n’aurez dirigé le Chœur de l’Orchestre de Paris qu’une fois en public durant cette saison. N’est-ce pas frustrant ?

L.S. : Diriger le chœur en public me manque effectivement un peu. Mais il est normal que je me concentre sur le travail de répétition. Et non, déléguer la direction n’est pas frustrant lorsqu’on travaille avec de bons chefs, même s’il faut parfois s’adapter. Pour le Requiem de Berlioz, l’entente avec Pablo Heras-Casado s’est vite installée. Pour l’Orfeón Donostiarra, José Antonio Sainz Alfaro, son chef, et moi avons travaillé ensemble la partition avant les répétitions et l’Orfeón a les mêmes voix et le même fonctionnement que le Chœur de l’Orchestre de Paris. Tout est donc là pour que le résultat au concert soit homogène et réussi. Et quant aux détails linguistiques, mes choristes ne supportent pas une consonne de travers, donc je suis sûr que les détails linguistiques se règleront d’eux-mêmes lors des répétitions générales.
 

Le Chœur de l'Orchestre de Paris © William Beaucardet

C’est le côté « latin » du Chœur de l’Orchestre de Paris parlait son fondateur Arthur Oldham ? Revendiquez-vous son héritage ?

L.S. : Je ne peux prétendre à une filiation avec Arthur Oldham car je ne l’ai pas connu. Mais, oui, le Chœur a gardé une empreinte forte de sa direction. Au début, je trouvais cela agaçant, considérant qu’il faut savoir tourner la page achevée, aussi belle soit-elle. Mais le Chœur, avec son héritage, m’a appris des choses et les réflexions sur l’autorité du chef qu’Arthur Oldham a exprimées dans sa biographie m’ont beaucoup intéressé. Et quant à la « latinité » du Chœur, Arthur Oldham voulait dire qu’il se déconcentrait vite en répétition. Je confirme que le Chœur de l’Orchestre de Paris est toujours tiraillé entre deux mentalités : un collectif moins fort en répétition et une force et un investissement individuel très poussés lors des concerts, ce qui rend ceux-ci toujours supérieurs aux répétitions. Les choristes le savent et en jouent comme prétexte pour que je l’accepte. Mais s’il est beau qu’un concert soit toujours un moment unique, cette pratique induit aussi une grande prise de risques. Je bataille donc toujours pour obtenir des choristes une plus grande rigueur lors des répétitions. La qualité se construit dans la durée et il faut travailler constamment pour cela.  

Propos recueillis par Michel Grinand le 5 février 2019

Berlioz : Requiem (+ Lutoslawski : Musique funèbre)
Orchestre de Paris, Orchestre du Conservatoire de Paris, Chœur de l’Orchestre de Paris, Orfeón Donostiarra, Frédéric Atoun (ténor), dir. Pablo Heras-Casado
20 et 21 février 2019 – 20h30
Paris – Philharmonie
www.orchestredeparis.com/fr/concerts/le-requiem-de-berlioz_3104.html
 
Mozart : Messe du Couronnement ( + œuvres de Wagner et du lauréat 2019 du Concours Île de créations, avec l’Orchestre national d’Île-de-France, du 29 mars au 6 avril 2019 (Paris, Cachan, Le Perreux-sur-Marne, Rueil-Malmaison, Chaville, Puteaux) www.orchestre-ile.com/saison.php?id=637&saison=28&lang=fr

Photo © Jean-Baptiste Millot

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