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Une interview de Lionel Sow, chef de chœur – Passion chorale

A 36 ans, Lionel Sow est tout sauf un homme pressé. Ce qui frappe, à l’écoute de sa voix aux graves sans aspérité aucune, c’est l’étonnant équilibre entre l’appétence et l’exigence, entre curiosités musicales multiples, virevoltantes et sa volonté de maîtrise en toute sérénité. Depuis ses débuts de jeune violoniste jusqu’à aujourd’hui, il semble qu’il a toujours su transformer d’heureux hasards en nécessités créatrices. Directeur de l'ensemble de la Maîtrise de Notre-Dame de Paris (Chœur d'enfants, Jeune Ensemble et Chœur d'adultes) depuis 2006, il quittera ce poste à la fin de la saison, pour se consacrer plus entièrement au Chœur de l'Orchestre de Paris dont il a pris les rênes 2011. D'ici là, il lui reste encore quelques passionnants programmes à diriger à Notre-Dame, à commencer par le concert Hugo Diestler / Heinrich Schütz qu'il donne avec la Maîtrise le 25 mars.
 
Vous avez commencé par le violon, comment avez-vous rencontré, puis choisi la pratique chorale ?
Lionel SOW : Parallèlement à mes études musicales, j’ai commencé à chanter dans un chœur d’enfants à Saint-Christophe de Javel dans le XVe, je participais à ces activités avec beaucoup d’enthousiasme. Puis il s’est trouvé que le chef de chœur est parti. Après une période de flottement, on m’a confié la direction musicale de cet ensemble. Au départ ce fut à titre provisoire, puis les choses se sont officialisées et vers dix-huit ans j’ai commencé à penser que c’était une voie intéressante. J’ai alors décidé d’étudier la direction. Les choses se sont alors mises en place progressivement. Je dirigeais tout en complétant ma formation.
 
Aviez-vous des répertoires de prédilection ?
L. S. : A cette époque-là, je n’avais pas encore choisi le chant, c’était pour moi une pratique musicale parmi d’autres. D’une façon générale, mon goût me portait vers le répertoire baroque. Il faut dire que c’était la période de sa grande expansion. Mais peu à peu mes intérêts musicaux se sont grandement élargis.
 
Lorsque l’on considère votre parcours, cette volonté d’ouverture à tous les possibles est très frappante ?
L. S. : Ce n’est pas une volonté, c’est une difficulté à me fixer sur un répertoire. En effet, la vie m’a offert beaucoup de rencontres. Avec elles, chaque fois s’ouvraient pour moi d’autres types de répertoires, suscitant en moi un nouvel enthousiasme. C’était chaque fois un nouveau terrain d’investigation. Il est donc vrai qu’à l’heure actuelle, je ne souhaite pas me limiter à un répertoire unique. Je n’éprouve pas comme d’autres chefs le besoin de me spécialiser, car je trouve passionnant d’explorer ce que la vie met sur mon chemin.
 
Comment êtes-vous arrivé à Notre Dame ?
L. S. : J’y ai débuté en tant qu’assistant pour le Chœur d’enfants, il y a maintenant treize ans, puis j’ai fini par en prendre la direction artistique lorsque Nicole Corti est partie. En 2006, je suis devenu directeur de l’ensemble de la Maîtrise de Notre-Dame de Paris. J’espère que toute ma vie sera comme ça : arriver dans une structure qui a besoin de mes services et moi-même évoluer, apprendre grâce à cette structure. C’est ce qui s’est passé pour moi à Notre-Dame durant treize ans. Treize ans, c’est énorme ! Je suis arrivé assez jeune à vingt-trois ans et aujourd’hui, à trente-six ans, j’ai le sentiment d’avoir beaucoup appris au sein de cette institution grâce à ses exigences propres, grâce aussi à une politique d’ouverture vers d’autres ensembles, à travers des partenariats qui nous ont permis de nous confronter à des répertoires très diversifiés.
 
Quelle est l’influence du lieu lui-même, de son architecture sur le travail musical ?
L.S. : Les conditions artistiques en sont totalement « physiquement » dépendantes. La réverbération d’une cathédrale gothique impose des choix d’interprétation, on ne peut pas en faire abstraction. On doit choisir les tempi, le mode d’articulation, le mode de respiration en fonction de cet immense espace et selon les répertoires. Il faut également réfléchir à ce que l’on veut que le public perçoive. On sait que cette perception va changer selon la place occupée. Au premier rang par exemple, on percevra certains phénomènes sonores, tandis qu’aux derniers rangs c’est une tout autre musique que l’on entendra ! Il faut donc trier, faire des choix. C'est donc très différent d’une salle de concert où l’on peut imaginer que chaque auditeur entendra globalement la même musique. À Notre-Dame, il faut définir chaque fois, avec une extrême précision, ce qui paraît musicalement prioritaire.
 
Comment décririez-vous l’univers, le répertoire musical à Notre-Dame ?
L. S. : C’est un paysage très varié. Il y a en premier lieu ce qui fait l’essence même de la musique dans une cathédrale : la musique durant les offices, car la liturgie se fait en musique. Cela peut aller d’un seul chanteur pour les offices ordinaires de semaine jusqu’à soixante-dix, quatre-vingts chanteurs pour les grandes fêtes. Durant ces offices on essaie de faire exister un répertoire le plus large possible. En effet Notre-Dame est non seulement un haut lieu spirituel, mais aussi un haut lieu de la culture nationale, donc toute forme d’expression musicale doit pouvoir y exister. Au-delà du domaine de la liturgie, l’année se déploie à travers une programmation de concerts très conséquente, puisqu’il y a plus de vingt – cinq concerts durant une saison. On y développe une programmation qui va de la monodie et du chant grégorien jusqu’à la musique contemporaine, de fait toutes les formes d’expression de l’art musical sacré sont représentées.
 
Avec quels chanteurs, amateurs ou professionnels peut-on servir un tel répertoire ?
L.S. :  Ce sont d'abord des étudiants, car une maîtrise est avant tout une école. À Notre-Dame on accueille les enfants depuis l’âge de six ans (pour la pré-maîtrise) et des adultes en formation professionnelle qui ont jusqu’à trente ans. Ceci est le socle de l’école, les élèves sont répartis en plusieurs cursus, car évidemment on n’enseigne pas à des enfants de six ans comme à des adultes. Pour les adultes, ces formations sont diplômantes, afin de leur permettre d’envisager une vie professionnelle. Il y a par ailleurs un certain nombre de chanteurs professionnels qui travaillent régulièrement avec la maîtrise afin d’en compléter les effectifs.
 
Quelle est l’influence du cadre religieux dans le travail musical ?
L. S. : Il nous apporte une première dimension qui est de replacer la musique sacrée des siècles passés dans son contexte utilitaire. Notre écoute de la musique est bien souvent trop « esthétique », elle perd de vue parfois les raisons de la composition d’une œuvre. 80% de la musique sacrée a été écrite non pas pour être au premier plan, mais pour s’insérer dans un office. Les motets, les messes sont liés à la vie liturgique et nous permettent de retrouver le sens d’une musique au service d’une dimension qui nous dépasse. La musique sacrée au cours d’un office doit être au service de la liturgie, contrairement au concert. Cela demande donc une certaine humilité artistique dans l’interprétation des œuvres. Il est très important, notamment par rapport à des musiques comme celle de Bach, par exemple, de les replacer dans le contexte du cycle de l’année liturgique. À Notre-Dame, on ne chantera pas une Passion au mois de décembre ! Cela est artistiquement très déterminant, nous ne sommes pas dans la gratuité de l’acte artistique, mais dans une fonctionnalité qui, évidemment, n’empêche pas la qualité de l’interprétation.
 
L’esprit qui souffle sur les cycles de concert est-il radicalement différent ?
L. S. : Non, cela n’est pas radical, car les cycles de concerts essaient également de s’ajuster au temps liturgique et à la coloration de l’année. L’acoustique et ses problématiques demeurent les mêmes. La différence fondamentale, c’est que la musique tient le premier rôle. Elle ne doit donc plus s’adapter au tempo de la liturgie, elle trouve sa justification en elle-même. On est donc dans un état d’esprit diff’rent.
 
Comment illustrer cela par la programmation 2014 ?
L. S. : Je construis mes choix avec la volonté première d’ouvrir à tous les types de répertoire. La programmation médiévale suit vraiment le cycle liturgique et doit faire découvrir des œuvres que l’on a peu l’occasion d’entendre, par exemple le concert de musique médiévale du 2 février qui illustrait la fête de la lumière. D’autres concerts font résonner le répertoire sacré au sein de la cathédrale, comme la Messe en ut mineur de Mozart qui sera donnée au mois de mai, hors contexte particulier, mais il me semble très important que cette partition puisse résonner à Notre-Dame d’autant que l’on sait qu'on ne l’entendra plus au sein de la liturgie, car elle a des proportions qui ne sont plus en lien avec la liturgie moderne. Il en est de même avec des œuvres beaucoup moins jouées comme le Totentanz de Hugo Distler qui sera donné le 24 mars, avec en écho des œuvres de Heinrich Schütz, un compositeur qui fut pour lui une grande source d’inspiration.
 
 
A la rentrée prochaine vous quitterez Notre – Dame pour vous consacrer entièrement aux formations chorales de l’Orchestre de Paris (chœur symphonique et chœur de chambre) dont vous avez pris la direction en 2011. Pourquoi ce choix ?
L. S. : Je le disais au tout début de cet entretien, treize ans dans une même structure, c’est énorme ! Même si je n’éprouve aucune lassitude dans le travail, bien au contraire, pas davantage de lassitude à vivre dans ce lieu qui est inépuisable, je pense qu’il est temps de laisser la place pour permettre un renouvellement à la tête de ses formations. Je pars en éprouvant tout à la fois regrets et curiosité pour la façon dont la Maîtrise évoluera après moi. Par ailleurs, les projets du Chœur de l’Orchestre de Paris se développant, l’Orchestre s’installant à la Philharmonie en 2015, c’est donc un grand tournant qui doit être pris pour le Chœur ; c’est une chance historique pour son évolution. Je souhaite vivre et partager cette nouvelle aventure avec un investissement total.
 
 Propos recueillis par Jeanne-Martine Vacher, le 12 février 2014
 
 
Maîtrise Notre-Dame de Paris, dir. Lionel Sow ; Catherine Samie ( récitante)
Œuvres de H. Distler (1908-1942) et H. Schütz
Paris – Notre-Dame
www.concertclassic.com/concert/hugo-distler-totentanz

Photo @ DR

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