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Une interview de Gérard Caussé – Un alto en liberté

Figure incontournable de l’alto auquel il a contribué à donner ses lettres de noblesse, Gérard Caussé fêtera son soixante-dixième anniversaire au mois de juin. Outre les manifestations qui lui sont consacrées, dont une participation au Festival de Pâques d’Aix-en-Provence aux côtés de Renaud Capuçon et de la Camerata Salzburg le 28 mars, la parution d’un coffret de 13 CD chez Erato témoigne de son exceptionnel parcours musical.
 
Quel regard portez-vous sur la place qu’occupe l’alto aujourd’hui ?

Gérard CAUSSÉ : J’ai vécu dans les années 1980 une époque où l’alto commençait à sortir de son rôle d’instrument de l’orchestre ou du quatuor à cordes et prenait une dimension soliste. Bien sûr, des interprètes tels que William Primrose, Lionel Tertis, en France Maurice Vieux ou mon professeur Serge Collot, avaient déjà montré la voie. Pour le quatuor à cordes, des artistes comme Peter Schidlof  (membre du Quatuor Amadeus) avaient aussi magnifié cet instrument. En même temps que mon arrivée dans le monde de la musique, Yuri Bashmet contribua à modifier la donne en sortant du rôle de violon baryton que l’on attribuait souvent à l’alto. A partir de là une nouvelle ère s’est ouverte, qui a été poursuivie par Nobuko Imai, Kim Kashkashian ou, plus près de nous, Tabea Zimmermann. La floraison actuelle de la jeune génération est la continuation de cette effervescence, avec Antoine Tamestit, Lise Berthaud, Adrien La Marca, Adrien Boisseau et tant d’autres.
 

© David Arranz
 
Hormis l’Ensemble intercontemporain, pourquoi n’avez-vous pas intégré d’orchestre comme cela se faisait pour tout altiste ?

G.C. : Mon père, qui était chanteur d’opéra, m’a mis entre les mains dès mon plus jeune âge un violon transformé en alto pour mon usage d’enfant. Dès l’âge de sept ans, j’ai eu la révélation et la conviction que cet instrument avait un son particulier qui lui était propre par rapport au caractère plus démonstratif du violon. J’ai dès lors suivi mon propre chemin et décidé, en sortant du Conservatoire de Paris  – j’y avais fréquenté la classe de musique de chambre de Jean Hubeau –, de ne pas m’engager dans un cadre institutionnel. J’éprouvais un besoin de liberté qui ne m’a pas quitté. Néanmoins, j’ai pratiqué la musique de chambre avec plusieurs formations dont les Quatuors Via Nova et Parrenin, ce qui m’a permis d’engranger un vaste répertoire dont une intégrale Fauré. Ma participation à l’Intercontemporain, dès la création de l’Ensemble par Pierre Boulez en 1976, n’a duré que trois ans et demi, mais j’étais le seul alto et donc quasiment soliste, ce qui était très différent d’un rôle de musicien d’orchestre.
 
Quel rapport entretenez-vous avec la musique contemporaine ?

G.C. : Une relation très forte car j’ai créé trente-cinq pièces pour alto et cela m’a permis de connaître des compositeurs comme Dutilleux, Berio, Ligeti, Boulez (dont j’ai joué le Livre pour quatuor) et même Tippett sous la direction duquel j’ai enregistré le Triple Concerto pour violon, alto et violoncelle (1) . Je suis très proche de créateurs comme Dusapin, Bacri, et Dufourt qui est à mon sens l’un des compositeurs majeurs de notre temps. A Colmar début avril, j’interprèterai aussi le Concerto pour alto « Bridge of light » de Keith Jarrett, une œuvre qui me tient particulièrement à cœur.
 
Avez-vous encore une activité de pédagogue ?

G.C. : J’ai beaucoup enseigné en France, au Conservatoire de Paris, mais aussi à l’Accademia Chigiana de Sienne ou encore en Espagne. Désormais, je me contente de donner des masterclasses à l’étranger ou d’intervenir dans des stages. Je suis toujours disponible et l’on me fait des propositions aux Etats-Unis mais je voudrais plutôt enseigner en France. A l’heure actuelle, ce n’est pas l’Etat qui prend le plus de risques mais le privé comme le fait par exemple la Fondation Louis Vuitton pour les cours d’excellence de violoncelle de Gautier Capuçon. Cet été je serai au Festival de Verbier auprès de jeunes musiciens, mais j’aimerais également m’occuper chez nous de talents prometteurs en vue de les préparer aux Concours internationaux, et pour l’instant ce n’est pas le cas.
 

 
Quelles réflexions vous inspire la parution d’un coffret de 13 CD rassemblant les enregistrements que vous avez réalisés chez Erato ?

G.C. : C’est évidemment une sélection mais je me dis qu’avant moi aucun altiste n’avait reçu un tel hommage. Cela me trouble et me ravit à la fois. Je me rappelle combien, autour des années 80, Michel Garcin avait pu faire confiance à un jeune instrumentiste en lui proposant d’enregistrer la Symphonie concertante de Mozart avec Pierre Amoyal. Debussy écrit à propos de son Trio : « Beaucoup de notes accompagnées de beaucoup d’amitiés » (2) et c’est effectivement pour moi une histoire de famille avec des artistes comme François-René Duchâble, Paul Meyer, Augustin Dumay, Jean-Philippe Collard, Michel Portal…
Et puis il y a aussi la version de Harold en Italie avec Michel Plasson et l’Orchestre du Capitole de Toulouse – ma ville natale – qui me touche par la générosité et la chaleur qui se dégagent, différente de la version plus distante que j’ai faite avec Gardiner. En dehors des enregistrements pour Erato, ce coffret comporte deux pièces d’Ernest Bloch (avec sa Suite hébraïque que j’avais réalisée pour Cascavelle en compagnie de l’Orchestre de la Suisse romande et dont j’ai racheté les droits). Enfin, René Martin a accepté que le dernier disque de Brigitte Engerer pour Mirare soit aussi publié : nous y jouons de la musique russe ; en particulier la tragique et crépusculaire Sonate pour alto et piano de Chostakovitch. Je remercie Alain Lanceron pour cette édition et surtout d’avoir fait renaître de ses cendres le légendaire label Erato qui porte un si joli nom.

© David Arranz
 
En dehors de la sortie de ce coffret, quelle est votre actualité ?

 G.C. : J’ai de multiples concerts en France et à l’étranger. Prochainement je serai au Festival de Pâques d’Aix-en-Provence pour interpréter la Symphonie concertante de Mozart avec Renaud Capuçon qui dirigera en même temps la Camerata Salzburg. La Symphonie concertante m’est consubtantielle car Mozart, lui-même altiste, a su exalter sa riche sonorité. Avec Renaud, j’ai une relation privilégiée, il m’invite chaque hiver au Sommets musicaux de Gstaad et chaque printemps à Aix ; je me réjouis de le retrouver et d’échanger musicalement avec lui dans une entente parfaite.
Il y a des rencontres qui marquent comme celle que j’ai pu avoir avec Laurent Terzieff lors de l’enregistrement des six Suites de Bach présentes dans le coffret. Ce sera aussi le cas avec le Quatuor Modigliani qui m’a invité pour une carte blanche en juillet à Saint-Paul de Vence en compagnie de Michel Portal, Emmanuel Pahud et Itamar Golan. Enfin, parmi les autres projets, il y a aussi l’enregistrement des deux Sonates pour piano et alto de Brahms avec Nicholas Angelich dans le cadre d’une intégrale de la musique de chambre du compositeur allemand.
 
Propos recueillis par Michel Le Naour, le 19 mars 2018

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(1) Avec Ernst Kovacic (violon) et Alexander Baillie (violoncelle) - Nimbus Records (1991)
 
(2) Dédicace de Debussy à l’éditeur Durand
 
Prochains concerts :
- Saint-Germain-en-Laye, Théâtre Alexandre Dumas, Week-end Debussy, 25 mars 2018 / www.tad-saintgermainenlaye.fr/75-603/fiche/le-monde-de-debussy.htm
 
- Aix-en-Provence, Festival de Pâques, 28 mars 2018 : Symphonie concertante de Mozart avec Renaud Capuçon (violon) / www.festivalpaques.com/fr/spectacle/152/camerata-salzburg
 
- Colmar, 6 et 7 avril 2018 : Concerto pour alto « Bridge of light » de Keith Jarrett et Fantaisie de Hummel avec l’Orchestre de Chambre de Wallonie, Frank Braley (direction).
 
- Epinal, 14 avril, Temple protestant et Auditorium de La Louvière, avec Renaud Capuçon et l’Orchestre Symphonique Ecorce.

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