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Une interview de Charles Castronovo, ténor – “Le personnage de Don José me correspond parfaitement”

Avant de rejoindre Toulouse où il interprète à Don José (du 6 au 19 avril) auprès de la Carmen de Clémentine Margaine, dans la mise en scène de Jean-Louis Grinda, le ténor américain Charles Castronovo était de passage à Paris en février pour trois représentations de La Traviata. Disponible et extrêmement chaleureux, il a accepté de répondre à nos questions et de revenir sur une carrière conduite depuis ses débuts professionnels avec intelligence, sagesse et passion.
 
Vous n'étiez pas revenu à l'Opéra Bastille depuis quatre ans où vous aviez chanté Tebaldo d'I Capuleti e i Montecchi mis en scène par Robert Carsen, et vous voilà cette fois Alfredo dans La Traviata. Est-ce un rôle avec lequel vous aimez évoluer, vieillir et si oui pourquoi?
 
Charles CASTRONOVO : Bonne question ! Je crois qu'il s'agit du rôle que j'ai le plus interprété sur scène ; je le connais bien, l'apprécie, mais pour être honnête ce n'est pas celui que je préfère. D'un point de vue musical il est assez complexe, car en peu de temps il demande beaucoup pour un résultat assez maigre, même s'il bénéficie de moments merveilleux comme le duo « Parigi o cara ». Je trouve le rôle assez frustrant par rapport à celui de Germont Père, qui avec deux airs seulement peut remporter un triomphe alors qu'Alfredo est moins gâté, car son rôle est court. D'un point de vue psychologique, l'éventail est intéressant car il est au départ naïf, innocent, romantique, mais évolue rapidement et passe à la tristesse, à la jalousie jusqu'à la fureur, avant d'être rattrapé par les remords et de terminer dans la bonté. Emotionnellement c'est un personnage très riche, musicalement il est plus limité. Je voudrais le chanter moins souvent désormais, car je parviens à éprouver encore du plaisir à l'interpréter lorsque je reviens vers lui après une pause.
 
Cette production est sans doute importante pour vous, car vous partagez l'affiche avec des partenaires de rêve, la soprano Anna Netrebko (1) et le légendaire Domingo avec lequel vous avez d'ailleurs récemment chanté cet opéra à Munich, en compagnie de Diana Damrau. Est-il facile d'accomplir son travail simplement lorsque l'on se retrouve aux côtés de personnalités aussi prestigieuses ?
 
C.C. : Oui bien sûr ! Je dois dire que ces deux partenaires sont de vrais bons collègues et quand on chante avec eux, nous nous sentons leurs égaux. Anna est quelqu'un d'extrêmement simple, nous rions, parlons de tout ensemble, comme des gens normaux. Il en est de même avec Placido Domingo qui est toujours relax. Vous savez qu'il est mon héros ! Il a été le premier avec qui j'ai débuté à Los Angeles dans Fedora où je tenais un petit rôle, puis nous nous sommes retrouvés dans Il Postino où j'ai hérité d'un vrai rôle, et nous avons chanté par la suite en concerts à plusieurs reprises. Il est toujours gentil, fait des compliments et je me sens bien à ses côtés.
 
© charlescastronovo.com

Vous avez souvent interprété Alfredo en Italie, en Amérique, en Allemagne, en Espagne mis en scène par de nombreux artistes. Benoît Jacquot, qui règle ici le spectacle, est au départ un cinéaste : avez-vous remarqué des différences entre ceux qui viennent de ce monde et les autres qui sont « spécialisés » dans l'opéra ?
 
C.C. : Oui, et cela se ressent dès les répétitions. En général ceux qui viennent du cinéma essaient de répéter longtemps et beaucoup. S'ils manquent d'idée pour certaines scènes, ils nous font beaucoup travailler, souvent à partir d'improvisation et cela peut être parfois fatiguant car nous devons rester longtemps sur certains détails qui ne seront pas du tout retenus quelques jours plus tard. Mais c'est intéressant car cela nous permet d'être libres de faire des propositions. J’aime jouer avec les deux, mais ceux qui viennent du cinéma aiment plus particulièrement les détails et les grandes images « visuelles », alors que les autres aiment davantage les émotions et les mouvements. Jouer est devenu important et tout le monde y fait attention de nos jours.
 
Depuis toutes ces années vous avez aimé et haï en scène Netrebko, Dessay, Damrau, Ciofi, Rebecka ainsi que votre épouse Ekaterina Siurina notamment à Toronto en 2015. Qu'avez-vous appris du personnage d'Alfredo à leurs côtés ?
 
C.C. : C’est très intéressant, car il y a des Violetta de tradition, disons au chant léger et clair et d'autres qui sont plus imposantes, aux personnalités plus fortes, qui donnent plus de poids à leurs interventions du second acte par exemple. J'apprécie d'être face à des chanteuses différentes car cela me permet de m'adapter et de répondre à leurs attentes ; Damrau est une interprète très forte, qui vous pousse parfois à la brutalité. Si une artiste joue davantage sur la sensualité ou la fragilité, cela me stimule et m’amène à essayer d'autres choses.
 
Vous avez chanté à plusieurs reprises à Paris, mais également à Versailles, à Saint-Denis, et en France à Toulouse, Bordeaux, Montpellier et Aix-en-Provence dans une Traviata très spéciale mise en scène par Jean-François Sivadier, avec Natalie Dessay et Ludovic Tézier. Quels souvenirs en avez-vous gardé ?
 
C.C. : Celui d'un très bel été passé dans une ville très agréable. J'ai aimé l'atmosphère qui régnait sur cette production, car Sivadier est quelqu'un de très sympathique, qui rit tout le temps et cela est très positif. Nous avons beaucoup répété, sans doute trop, je dois l'avouer, car deux semaines sur « Libiamo » c'était terrible et on m'a d'ailleurs vu faire une drôle de tête dans le documentaire réalisé en parallèle, car je n'en pouvais plus : cela était compréhensible ! Pourtant je dois reconnaître que j'ai aimé le travail effectué sur l'émotion, cela m'a permis de me sentir très proche du personnage. Le minimalisme recherché, les relations du couple m'ont beaucoup apporté scéniquement et j'utilise encore aujourd'hui certains détails.
 
J'aimerai savoir si vous avez ressenti des différences entre le travail d'un metteur en scène femme et celui d'un homme : Katie Mitchell, Julie Taymor, ont-elles la même approche que David McVicar, ou Guy Joosten ?
 
C.C. : Oui bien sûr, c'est d'ailleurs intéressant. Les femmes avec lesquelles j'ai travaillé sont très intenses, comme Katie Mitchell sur Lucia di Lammermoor à Londres ; il s'agissait d'une nouvelle production et nous avons beaucoup travaillé. J'ai aimé cela car elle avait beaucoup d'idées et nous a fourni des tas d'informations sur nos personnages, ce qui nous a enrichi. Elle nous dirige mais nous laisse aussi libres pour parvenir là où elle veut. La scène de sexe du premier duo m'a d'abord étonné, car il n'est pas facile de simuler un accouplement sur une balançoire (rires), mais en jouant avec Diana nous avons trouvé nos marques et accepté l'idée que ces jeunes amoureux puissent éprouver cette envie de faire l'amour de manière inattendue. L'audience a été partagée et j'ai découvert qu'à la reprise  la scène avait été abandonnée et c'était de mon point de vue moins intéressant. Avec Diana nous pouvions le faire c'était devenu « confortable », mais pas pour tout le monde... Katie était préparée et flexible. Si nous n'étions pas totalement convaincus, elle essayait de nous aider à trouver un autre chemin. Les hommes sont plus dans les images et font moins attentions aux détails, sauf McVicar, peut-être.

© charlescastronovo.com
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Est-il facile pour vous de continuer à chanter Alfredo alors que vous êtes entré dans votre maturité vocale et que vous avez par ailleurs déjà abandonné certains rôles comme Ottavio, Ferrando ou Rigoletto ?
 
C.C. : Oui, c'est étrange car ma voix me dicte les choses ; je pourrais par exemple chanter encore Ferrando mais ma voix est devenue plus sombre et plus large et je considère qu'il vaut mieux le laisser à d'autres. De Mozart je conserve Tamino car le rôle est écrit différemment. Aujourd'hui Don José est le rôle le plus sombre que je chante et pourtant cette tessiture me va comme un gant, car elle associe lyrisme et dramatisme et cela me va. Le 1er duo est léger, l'air est encore lyrique et le 3ème acte devient plus dramatique.
 
Dans une interview que vous avez donnée en 2014, vous disiez que vous rêviez d'interpréter Werther, Hoffmann, Don Carlo, Ballo in maschera et Lohengrin. Quatre ans plus tard vous avez abordé Werther mais pas encore les autres. En avez-vous planifiés certains ?
 
C.C. : Oui absolument, Hoffman est prévu cette saison en concert : je suis ravi de m'y essayer. Le rôle est plus ardu que Don José, plus haut et plus long et cela sera un défi. Je suis très heureux de retrouver prochainement le public toulousain, surtout avec Don José, un rôle et un personnage qui me correspondent parfaitement. J'ai de beaux souvenirs avec le Capitole. L'an prochain je devrais aborder mon premier Don Carlos en français, en Allemagne, là aussi un rôle long mais je l'ai bien regardé et je pense pouvoir y arriver. Il est très lyrique avec quelques moments difficiles, mais en français la langue devrait m'aider à atteindre les aigus. En revanche aucun Lohengrin à l'horizon, ni de Ballo : il faudra attendre encore quelques années, mais j'y arriverai.
 
Comment expliquez-vous la relation particulière qui vous lie au répertoire français ? D'où cela vous vient-il ?
 
C.C. : Dès mes études j'ai trouvé que cette musique et ce répertoire m'allaient bien et alors que beaucoup de jeunes ténors rêvent de Tosca ou de Cavalleria, je rêvais pour ma part de rôles français et mon agent m'a poussé à m'y intéresser. Il y a de l'élégance et de la passion dans cette écriture et avec l'italien cela se complète aisément ; j'aime ces longues lignes, je m'y sens bien (Charles Castronovo chante alors les premières phrases de l’air de Roméo « Ah lève-toi soleil »), je prends le temps de chanter, de me concentrer.  J'espère pouvoir chanter plus de Gounod dont je trouve la musique très belle.
© David Elofer
 
Lorsque vous êtes en scène est-il facile pour vous de vous dire, je suis en scène, moi Charles, ou vous sentez-vous dans la peau d'un personnage que vous avez créé qui vous échappe et vit une autre vie pour le public ?
 
C.C : Vous savez c'est amusant, mais Carol Vaness m'a dit un jour que pour être un grand acteur, il fallait tout donner en scène bien sûr, mais que le public devait avoir envie de pleurer, pas nous ! Il faut donc être un acteur quand on chante, ce qui n'est pas toujours facile et surtout rester dans le contrôle, sinon on risquerait parfois de tuer vraiment notre partenaire dans Carmen ! Le jeu dépasse quelque fois le chant ; le public doit être ému et nous devons lui faire croire que nous sommes un autre, tout en tenant les rênes. Ermonela Jaho est très émouvante en scène et j'aime beaucoup être à ses côtés ; dans Bohème à Londres elle était si vraie que j'étais presque incapable de chanter mes dernières phrases. Je dois donc veiller à ne pas me laisser submerger par l’émotion.
 
Dernière question : puis-je vous demander comment vous trouvez le public français et plus particulièrement le public parisien ?
 
C.C. : Je n'ai eu à ce jour que de belles expériences à Paris où j'ai toujours été bien accueilli. Mireille, Rake's progress, Capuleti, Elisir d’amore de Pelly ont été des succès, comme le concert au Théâtre des Champs-Elysées avec Ermonela. Le public parisien est positif et chaleureux. J'espère revenir bientôt.
 
Propos recueillis et traduits de l’anglais par François Lesueur le 19 février 2018
 
(1) A noter que le jour de cet entretien Anna Netrebko n'avait pas encore déclaré forfait ; c'est finalement Marina Rebecka qui a terminé la série de représentations.
 
 
Propos recueillis et traduits de l’anglais par François Lesueur le 19 février 2018
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Bizet : Carmen
Avec Clémentine Margaine, Charles Castronovo, Dmitry Ivashchenko, Anaïs Constans ;  mise en scène Jean-Louis Grind, direction musicale Andrea Molino
Les 6, 8, 19, 13, 15, 17 & 19 avril 2017
Toulouse – Théâtre du Capitole
www.theatreducapitole.fr/1/saison-2017-2018/opera-674/carmen-2355.html
 
 
 Photo © www.charlescastronovo.com
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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