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Une interview de Catherine Trottmann, mezzo-soprano - "Sentir que l'on est son propre instrument est quelque chose de fantastique"

Il est loin le temps où l'on se lamentait sur l'absence de relève, le manque de jeunes espoirs, la lente disparition du chant français. A 25 ans seulement, la pétillante mezzo-soprano Catherine Trottmann (photo) se prépare à interpréter sa première Rosina du Barbier de Séville, sur la scène du théâtre des Champs-Elysées (du 5 au 16 décembre). Le spectacle, confié à Laurent Pelly et à Jérémie Rhorer, fait d'ailleurs la part belle à cette talentueuse jeune génération allant jusqu'à proposer une double distribution enthousiasmante, dont la qualité artistique devrait satisfaire le public en cette fin d'année. Catherine Trottmann a accepté de répondre à nos questions entre deux répétitions menées, comme il se doit, tambour battant.
 
La précocité vous caractérise, vous qui à seulement 25 ans avez déjà entamé une carrière à l’heure où certains en sont encore aux études. D’où vous vient cette aptitude à faire vite et bien ?
 
Catherine TROTTMANN : Je pense que le fait de venir d'une famille nombreuse, nous sommes sept, m'a toujours donné envie de faire plus vite que la musique, pour faire partie du groupe et avancer en même temps que mes frères et sœurs ; je suis la troisième de cette fratrie et cette place n'a pas toujours été facile à assumer, il m'est arrivé de me sentir un peu perdue entre le groupe du haut et celui du bas. Mais je dois reconnaître que cette situation m'a également poussée car j'ai toujours eu besoin de stimulation et suis allée chercher partout les choses qui pouvaient me faire progresser. J'ai commencé la musique très tôt par l'étude de la flûte traversière, instrument que mes parents m'ont proposé et cela m'a formé l'oreille tout en me permettant de découvrir tout un répertoire associé. L'opéra est arrivé plus tardivement dans ma vie.
 
Pour quelles raisons avez-vous finalement opté pour la voix ?
 
C.T. : On ne commence pas le chant lyrique à six ans, bien sûr, mais j'ai toujours chanté, sans m'en apercevoir car au quotidien je m'exprimais en chantant même lors d'échanges les plus anodins. La voix est venue instinctivement, comme un outil que j'ai utilisé sans m'en rendre compte. L'envie de m'y consacrer est arrivée par l'entremise de mon professeur de solfège et ma famille m'a poussée à m'engager dans cette direction. J'ai donc intégré le conservatoire pour apprendre le chant, tout en étant très attachée à mon instrument. Je voulais devenir professionnelle, mais le chant est arrivé dans ma vie et a tout fait basculer ; j'ai très vite perçu ses avantages et saisi le monde qui s'ouvrait à moi. Le fait d'avoir un texte a été une révélation.
Bien sûr lorsque l'on est instrumentiste nous devons défendre une interprétation, mais là le texte permet de nous nourrir et cela m'a aidée à faire cette transition en plus de la découverte de sensations tout à fait extraordinaires, dont tout le monde parle ; sentir que l'on est son propre instrument est quelque chose de fantastique. Bien évidemment cela peut nous fragiliser et cela demande une vie de sacrifices, mais le jeu en vaut la chandelle.
 
Vous êtes-vous immédiatement sentie à l’aise dans la tessiture de mezzo que vous avez découverte ?
 
C.T. : J'ai toujours travaillé comme mezzo et ce dès le début de mon apprentissage : cela a été une évidence, contrairement à beaucoup de mes collègues qui cherchent pendant leurs études où ils se situent exactement. Mais si ma voix peut paraître ambiguë, dans le timbre et dans le mediun on trouve les caractéristiques du mezzo, même si en allant vers l'aigu je suis plus « sopranisante » ; je dois profiter de cette richesse et avancer, car je me sens bien dans cette tessiture musicalement et théâtralement. Même si ma voix risque d'évoluer dans le futur, les choix que j'ai faits sont les bons. Il est très facile de perdre du temps parfois, car tout le monde donne son avis et l'on peut finir par ne plus savoir où aller. Les gens qui nous entourent ont toujours des conseils à nous donner et il ne faut pas trop se laisser influencer. Dans ma tête les choses étaient claires et une petite voix intérieure me disait que c'était ça et rien d'autre. Et je dois avouer que cela a été salutaire.
Avec Florian Sempey aux Victoires de la Musique 2017 © Cyril Dubois

Tout semble s’être enchaîné avec facilité : études, conservatoire, prix, petits rôles, résidence à Vienne, premiers engagements mozartiens avec Ramiro, Zerlina et Cherubino, premières incursions chez Rossini et vous voici à l’affiche du TCE pour interpréter Rosina : comment avez-vous accueilli ce projet porté par Laurent Pelly et Jérémie Rhorer ?
 
C.T. : Comment dire ?... Cette Rosina, ... c'est le rôle qui m'a toujours le plus terrifié et poursuivi ! (rires). Evidemment j'ai travaillé l'air pendant mes études, mais en l'évitant, car il me faisait peur et malgré tout j'ai dû m'y confronter à plusieurs occasions. Il m'a été proposé lors du « Concert des étoiles » retransmis à la télévision : j'étais angoissée mais j'ai fait confiance à mon professeur et à ma famille qui m'a encouragée. Je l'ai affronté et cela a plutôt bien marché. Ensuite il y a eu le Victoires de la Musique (C.Trottmann est "Révélation lyrique" 2017 ndlr) où nous avons tenté de trouver un air adapté qui s'est finalement traduit par un duo et lequel ? Celui du Barbier de Séville ! Je m'en suis fait un monde, mais j'ai eu un grand plaisir à l'interpréter, d'autant que j'étais aux côtés de Florian Sempey et que tout s'est bien passé.
Cette Rosina m'a toujours rattrapée, alors quand on me l'a proposée, ici au TCE, je crois que cela a été la décision la plus facile que j'ai prise depuis mes débuts. Même si c'est un peu kamikaze, j'ai eu l'intuition qu'il fallait le faire, j'ai toujours eu une bonne étoile alors il m'a paru important d'accepter cette proposition. Oh bien sûr je la chanterais mieux dans cinq ans, mais il faut bien démarrer un jour. Le rôle demande une grande extension de la tessiture, je n'ai pas peur des aigus mais davantage du medium et du grave, car dans ce théâtre il faut de la richesse dans le bas medium pour se faire entendre. Je ne crains pas non plus l'agilité, mais il faut veiller à l'effectuer sainement d'un bout à l'autre, pour garder la souplesse et je ne dois pas oublier que ce rôle est le plus long de tous ceux qui m'ont été confié à ce jour, qui plus est, dans un spectacle qui demande beaucoup d'énergie comme vous allez le voir bientôt.
 
Cette production du Barbier de Séville est dirigée par un chef avec lequel vous avez déjà collaboré sur Don Giovanni notamment et mise en scène par Laurent Pelly : connaissiez-vous son travail, son style et vous a-t-il été facile d’intégrer son univers et son esthétique ?
 
J'adore son travail que je connaissais bien car j'ai vu beaucoup de ses productions en DVD surtout celles conçues pour Felicity Lott et Natalie Dessay ; il y a un humour fou et un travail où tout est millimétré et où la magie opère ; cela m'a toujours enthousiasmée. Ça n'a pas été facile car j'arrivais de Strasbourg où je participais à une production des Noces de Figaro sur laquelle la direction d'acteur était tout à fait différente. Ici tout est codifié, dans les déplacements où les diagonales sont proscrites, où tout doit être marqué, où le réalisme est abandonné au profit de l'effet, ce qui est inhabituel, mais je suis persuadée que ça marche et va faire un beau spectacle.
 
Pouvez-vous nous parler du cadre général dans lequel Pelly a choisi de plonger ce Barbier, lui qui s’est fait une réputation dans la comédie et s’est fait remarquer, entre autres, chez Offenbach, Donizetti et Rameau.
 
C.T. : Il a décidé que toute l'intrigue allait se passer dans une partition géante sur laquelle de petits personnages évolueraient, comme des notes de musique : tous les déplacements y sont pour cela réglés en fonction de la musique, de manière très chorégraphique. Il devait d'ailleurs y avoir un chorégraphe, mais c'est finalement Laurent Pelly qui s'y est attelé.

© Thierry de Girval

Pour Pelly, cette histoire un peu folle est celle du rêve inaccessible que tente d’atteindre le vieux Bartolo en aimant la jeune Rosina, véritable objet de désir ? Adhérez-vous à cette image ?
 
C.T. : Je n'ai pas l'impression d'être vue comme un objet dans ce spectacle. Rosina y est représentée comme une femme moderne, au caractère bien trempé, très jeune et qui développe des rapports très différents avec chacun des personnages qui l'entourent. J'aime ceux qu'elle entretient avec Bartolo que je trouve assez équilibrés, sans sagesse, ni soumission. J'avais en arrivant une opinion sur le sujet et Pelly s'en est inspiré, n'est pas resté figé ; il a fait avec mon physique, ma jeunesse et profité du fait que je sortais d'un rôle travesti, ce qui au final constitue une chose originale et convaincante.
 
Les cantatrices qui s’emparent de Rosina se voient généralement très vite confier d’autres héroïnes rossiniennes : envisagez-vous de poursuivre cette exploration à l’avenir ?
 
C.T. : Pour le moment cela serait prématuré car je n'ai pas la puissance suffisante dans le medium qui me permettrait de passer la rampe si je devais aborder Cenerentola ou L'Italiana in Algeri. Rosina est idéale pour le moment, j'ai le temps pour les autres, nous verrons plus tard. 
 
A 25 ans, êtes-vous toujours suivie par un professeur ou volez-vous déjà de vos propres ailes ?
 
C.T. : J'ai cru que je pouvais m'en passer lorsque je me suis rendue à Vienne et cela s'est avéré douloureux : je suis revenue épuisée, car je n'avais pas les armes pour être indépendante durant un an avec treize rôles différents à assumer. On travaille avec des coaches bien sûr, mais sans aborder les questions de technique et pour alterner Mozart, Verdi et Wagner j'aurais eu besoin d'être accompagnée. A mon retour j'ai repris des cours avec mon professeur qui me suit depuis de près.
 
Quels sont les interprètes qui vous stimulent et dont vous admirez la carrière ?
 
C.T. : Humm... beaucoup d'artistes m'intéressent pour des raisons différentes : Joyce DiDonato pour son talent autant que pour sa personnalité, c'est une vraie lumière qui me fait du bien, mais j'adore également la folie de Patricia Petibon, ses incarnations, sa présence. Elle rayonne tellement sur scène. J'admire les chanteuses-actrices comme Dessay qui sont des modèles inspirants pour quelqu'un comme moi qui aime autant le théâtre que la musique.  Il y en a d'autres ... c'est difficile ! J'ai écouté les voix d'hier et, au disque, celle qui m'a le plus marquée est certainement Crespin chantant Shéhérazade.
 
Avez-vous le sentiment que les Etats européens font beaucoup pour faire aimer la musique aux jeunes générations ?
 
C.T. : Je trouve que beaucoup d'efforts sont faits de la part des théâtres pour attirer le jeune public à l'opéra : j'ai été impliquée un ouvrage participatif à l'initiative de Rouen dans lequel les enfants jouaient et venaient avec leurs parents pour leur faire découvrir ce sur quoi ils avaient travaillé. Les tarifs jeunes sont là pour attirer de nouvelles générations mais les gens n'osent pas encore venir naturellement et il faudrait désacraliser l'opéra, qu'il ne soit pas envisagé comme quelque chose d'inaccessible, car ce n'est pas le prix qui rebute, mais davantage la réputation, l'impression qu'il génère pour les populations qui ne le pratique pas. Dans les écoles il faudrait faire plus sans doute, faire partager l'amour que les musiciens éprouvent à l'égard de la musique, il faudrait se déplacer, chanter pour eux, mais le temps manque souvent. Ici au TCE j'en ai eu très peu.
 
Propos recueillis par François Lesueur le 23 novembre 2017

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Rossini : Le Barbier de Séville
Les 5, 8, 10, 13 & 16 décembre 2017
Paris – Théâtre des Champs-Elysées
www.concertclassic.com/concert/rossini-il-barbiere-di-siviglia
 
Photo © Thierry de Girval
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