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Une interview de Catherine Pégard, présidente de l’établissement public du château de Versailles – « Versailles est un lieu qui nous oblige. »

Le 15 mars prochain, le Waseda University Symphony Orchestra sera en concert au Théâtre des Champs-Élysées, sous le parrainage de Catherine Pégard, l'actuelle présidente de l'établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles. C'était l'occasion de la rencontrer, d'évoquer avec elle Versailles en tous ses états et, particulièrement, la place de la musique en ce lieu. Cette rencontre s’est faite dans le bâtiment du Grand Carré des Offices, un lieu qui  en dit déjà beaucoup par ses espaces à l'épure contemporaine où l'on croise statues, objets, meubles qui chacun racontent des époques passées. Catherine Pégard, semble « régner » sur l'endroit de la même façon qu’elle s’exprime, avec  une harmonie singulière qui mêle grande douceur et  ferme conviction ...
 
Vous êtes aujourd'hui à la présidence des « Château, musée et domaine de Versailles », mais ce qui a tout d'abord été une volonté première dans votre vie, c'est le journalisme. Ce fut un désir très précoce, non ?

C. P. : Cela peut paraître naïf de le dire comme ça, mais j'ai toujours voulu être journaliste… Dès l'âge de seize ans, je faisais des stages au journal local du Havre. Ce fut le début d'une aventure de plus de trente ans …
 
Le fait d'avoir exercé ce métier dans le champ du politique, ce fut également une vocation ?

C.P. : Ce ne fut pas tout à fait un choix. En fait, à mes débuts, je rêvais de m'occuper de culture. Lorsque je suis arrivée au Quotidien de Paris, Philippe Tesson m'a dit "avec une envie aussi forte que la vôtre d'être journaliste, il faut traiter de politique" ! Il faut dire qu'à cette époque-là, le politique et l'actualité étaient les domaines les plus importants, la voie royale du journalisme en quelque sorte. Le hasard de la vie, donc, a fait que j’ai d’abord abandonné la culture pour me consacrer à la politique, puis que, d'une certaine façon, aujourd'hui j'ai fait le chemin inverse en passant du politique à la culture.
 
Comment avez-vous été façonnée par le journalisme et la politique ?

C.P. : Je crois que cela a développé chez moi une qualité essentielle : la curiosité. C'est le mot qui, je crois, caractérise tout mon parcours jusqu'à aujourd'hui. Le journalisme vous apprend à écouter, il vous donne le goût des autres, la curiosité de ce qu'ils font, de ce qu'ils pensent. En tous les cas, ce fut mon aiguillon et lorsque je suis arrivée à Versailles, j'ai continué dans le même esprit. Je n'ai jamais cessé d'enquêter, tous les jours, jamais cessé d'écouter, de découvrir, de tenter de comprendre.
 
C'est cette même curiosité qui vous a poussé en 2007 à traverser le miroir et à quitter le journalisme pour devenir conseillère de Nicolas Sarkozy à l'Élysée ?

C.P. : C'était pour moi une façon d'aller plus loin, de comprendre, d'observer de l'intérieur ce monde politique que j'avais fréquenté pendant trente ans. Sans doute ai-je eu envie d'être au cœur de l'action et de pouvoir ainsi observer comment les choses se passaient vraiment… Cette proposition fut pour moi un honneur et un défi. Le défi de rester moi-même, de ne rien renier de ce que j'étais tout en observant les hommes et les situations, m’appliquant à les "décrypter". J'étais une sorte de journaliste à usage particulier, témoin de multiples et diverses réunions, discussions, manifestations, les passant au crible, pour mieux en cerner les tenants et aboutissants afin de fournir une analyse et un «récit » qui puissent nourrir la réflexion du Président et de ses collaborateurs…
 
Vous avez d'abord été au pôle politique, puis à la culture. Comment Versailles est-il arrivé dans ce parcours ?

C.P. : Je crois que c'est tout simplement l'enchaînement des choses et de la vie … Une vie professionnelle de bientôt quarante ans ne peut se comprendre que dans la cohérence de sa totalité. Je pense qu'on ne peut pas l'analyser par bribes. Versailles est arrivé dans la foulée de ce qui avait précédé et lorsque le Président m'en a fait la proposition, j'ai pensé que toutes mes expériences précédentes me permettraient de répondre positivement à cette offre.
 
Vous dites souvent à propos de Versailles qu'il y a toujours une histoire à raconter. Comment votre histoire avec Versailles a-t-elle commencé ?

C.P. : Je crois qu'avant de m'intéresser aux lieux, j'ai eu besoin de m'intéresser aux gens, de faire mes premiers pas à Versailles en suivant tout d'abord les gens qui y travaillaient. Il faut savoir qu'il y a mille personnes qui œuvrent chaque jour en ces lieux, dans plus de cinquante métiers différents ! J'ai éprouvé le besoin d'aller à leur rencontre, de comprendre chacune de leurs activités et de saisir à travers eux ce qui fait la vie de ce château. Car Versailles n'est pas un musée figé dans le passé, c'est un lieu vivant au quotidien, et cela dans des domaines multiples.
La diversité de ces domaines a été une grande découverte pour moi. Il y a le château et ce qu'il évoque de la vie de la cour et de la royauté, mais il y a aussi le musée de l'Histoire de France, les Trianon que j'ai entrepris de faire mieux connaître car l'on a oublié l'importance qu'ils eurent dans notre Histoire … J'ai donc tout d'abord essayé de comprendre la totalité de l'ensemble de ces domaines, essayer d'imaginer comment inciter le public à les connaître mieux et toujours être juste par rapport à ce lieu…
 
Être juste ? Qu'est-ce que cela veut dire ?

C.P. : Versailles est un lieu qui nous oblige … un lieu qu'il est impératif de respecter en ce qu'il est, à travers son histoire et ce qu'elle nous a apporté jusque dans notre XXe siècle. Il est rare d'être confronté à une aussi longue histoire. Cela signifie que le présent de Versailles doit toujours être nourri du passé et que notre offre culturelle ne doit pas être en contradiction avec l'Histoire passée de ce lieu. Versailles est un lieu et une histoire que l’on n’a jamais fini d'explorer. Je pense que je le quitterai sans avoir tout découvert. C'est un lieu qui ne cesse de vous surprendre au travers de moments d'Histoire totalement différents : par exemple une simple petite chaise peut vous permettre de reconstituer des bouts de France … Ainsi la chaise choisie par Marie-Antoinette à Trianon avant la Révolution, décorée de rosaces, fut transformée sous la Révolution : l'on a remplacé les rosaces par une cocarde tricolore, cette seule petite chaise nous raconte ainsi un peu de notre Histoire…

Sans doute est-ce la journaliste qui parle, là, et qui « sent » le récit que l'on peut faire avec ce genre de détail. Un récit à destination de nos compatriotes qui viennent à Versailles et, bien sûr, à destination des étrangers qui représentent aujourd'hui quatre-vingts pour cent de nos visiteurs. Car pour le monde entier, Versailles représente la France. À travers les arts, la musique,  le style, la mode et même la gastronomie. C'est ça qui est passionnant, c'est que l'infinité des domaines suggérés par Versailles ouvre mille portes d'entrée sur ce lieu. Ouvrir des portes, c'est ce que l'on fait au sens propre et au sens figuré. Imaginez qu'en 2012 nous avons ouvert onze nouvelles salles, les salles du musée de l'histoire de France. En 2013, ce furent neuf nouvelles autres salles avec les appartements des filles de Louis XV. En 2014 nous avons ouvert la gypsothèque. Nous ouvrons maintenant de nouvelles salles consacrées à Louis XIV, alors que nous célébrons le tricentenaire de sa mort. Années après années, cela met en valeur d'autres aspects, d'autres richesses du château.

Versailles vit, aujourd'hui, avec les moyens d'aujourd'hui, comme le numérique. À chaque époque de son histoire, Versailles a toujours été ouvert sur son temps, sur l'art de son temps. Versailles aujourd'hui est donc dans cette continuité. Nous faisons sans cesse des ponts entre le passé et le présent. C'est dans cet esprit que nous avons par exemple monté une exposition pour montrer comment le mobilier du XVIIIe avait influencé le mobilier design d'aujourd'hui. Ce sont des choses qui s'ajoutent et ne se soustraient pas … L'Histoire continue de suivre son cours …
 
Un mot souvent revient dans votre bouche à propos de Versailles, c'est le mot imaginaire…

C.P. : Versailles nourrit notre imaginaire par le roman qui s'y écrit chaque jour encore aujourd’hui. Nous y vivons accompagné de personnages dont nous découvrons parfois la présence avec étonnement. Nous avons ici Chopin, Delacroix ou Flaubert, dont les tableaux sont présents dans les collections du musée de l'Histoire de France qu'avait créé Louis Philippe, peu de Français le savent. Ce roman est aussi nourri de moments d'histoire, de parfums… de visions exceptionnelles comme un coucher du soleil dans la galerie des glaces, de musiques …
 
Vous venez d'inscrire la musique dans ce « roman » de Versailles, parlons, voulez-vous, de sa place et des structures qui la font vivre.

C.P. : Il y a la structure Château de Versailles Spectacles qui est une filiale du château et qui organise et programme les spectacles. Ceci avec une ampleur incomparable depuis la restauration et l'ouverture de l'opéra royal en 2009. En cinq ans, nous avons, je crois, relevé le défi qui consistait à faire de cette salle l'une des grandes salles de spectacle d'Europe. Nous proposons une saison musicale dont on parle dans le monde entier grâce à la programmation des équipes de Château de Versailles Spectacles. Cette programmation est exceptionnelle non seulement par rapport à ses lieux, mais aussi par le choix des artistes et d’œuvres présentées. Récemment Jean-Christophe Spinosi était de passage à Versailles et il a eu ce mot, merveilleux pour moi à entendre, : " il y a un nouvel opéra en Île-de-France et c'est l'Opéra de Versailles" !
 
L'opéra est un art que l'on sait coûteux, cette programmation offre beaucoup de nouvelles productions, comment sont-elles financées ?

C.P. : Nous ne bénéficions d'aucune subvention. Ce sont donc souvent des coproductions et c'est aussi la billetterie qui nous permet d'assurer les financements.
 
Vous offrez une saison tout au cours de l'année et également un festival en juin et juillet. Quelle est la programmation pour cette année ?

C.P. : C'est vrai que toute l'année nous avons quelques-uns des plus grands musiciens d'aujourd'hui. Tous viennent se produire, mais ils viennent aussi pour Versailles. Tous sont demandés dans le monde entier et leur agenda est rempli trois ou quatre ans à l'avance, mais, pour chacun d'entre eux, venir à Versailles c'est venir dans un endroit "différent". Un endroit qui offre des décors divers, puisque l'on peut chanter à l'Opéra, mais aussi à la Chapelle Royale, parfois dans la galerie des Glaces ou encore en extérieur comme William Christie le fit il y a deux ans sous le péristyle du Trianon. Rares sont les lieux avec une telle richesse de possibilités. C'est cela qui a donné l'idée du festival. Nous ne cessons pas d'ailleurs d'ouvrir de nouveaux lieux au spectacle. L'année dernière, ce fut le parterre de l'Orangerie, cette année nous y aurons un gala d'Anna Netrebko qui sera l'un des temps forts.

Mais nous pouvons également jouer avec différents lieux dans une même soirée ! Cette année, William Christie donnera un concert consacré aux musiques de Louis XIV et à Versailles, un concert "itinérant" dans trois lieux différents: Chapelle Royale, Galerie des Glaces et Opéra Royal. Jordi Savall fera de même. Nous avons par ailleurs tous les ans des contre-ténors qui reviennent à Versailles, Max Emanuel Cencic et Franco Fagioli, entre autres, cette année. Nous avons bien sûr une relation privilégiée à la musique baroque, mais nous faisons des incursions dans d'autres époques. Tout cela est une question de justesse par rapport au lieu, une question de dosage. Il ne s'agit pas de s'enfermer dans un carcan, nous avons programmé des musiques, des danses contemporaines, comme on voit également des sculptures contemporaines. Tous ces arts contemporains ont leur place à condition qu'ils acceptent un véritable dialogue avec ce lieu et qu'ils en reconnaissent la spécificité.
 
Cela peut susciter parfois des réactions épidermiques du public ou de la presse ...

C.P. : Je pense qu'il faut le temps de se familiariser avec les choses… Louis XIV lui-même avait décidé que Versailles devait être ouvert à tous les arts de son temps. Donc je pense que l'on ne fait pas de contresens historique en invitant des artistes contemporains à Versailles. Je pense que de plus ils apportent un nouveau regard qui fait venir de nouveaux publics. Il y a des gens qui viennent pour l'art contemporain et qui découvrent ou redécouvrent ce lieu. Il y a toujours un lien permanent entre la tradition et le contemporain à Versailles. C'est cela qui nous offre tant de possibilités d'ouverture.
Quand vous pensez que Laurence Equilbey est venue faire un flash-mob dans la galerie des Batailles sur l'Orphée de Gluck ! Quoi de plus classique que cette œuvre, quoi de plus évident le fait qu’elle soit jouée à Versailles et quoi de plus étonnant celui de retrouver le flash mob de Laurence Equilbey sur internet pour attirer un nouveau public avec l'Air des Furies.
 
La restauration des lieux est très importante. Il y a également une "restauration parallèle", musicale celle-là, qui se fait avec le travail du Centre de Musique Baroque de Versailles …

C.P. : Le CMBV est l'un de nos partenaires privilégiés avec qui nous entretenons des relations quotidiennes. Ils viennent donner des concerts, mais ils pratiquent aussi un travail de transmission et d'enseignement auprès des enfants et des adolescents qui est essentiel. Chaque jeudi, la maîtrise du CMBV vient donner un concert et chaque jeudi la salle est pleine…
 
Vous disiez que Versailles était toujours en ouverture sur le monde. Cette nécessité tisse un réseau de liens, parfois inattendus. C'est ainsi que l'on vous retrouve parrainant le Waseda University Symphony Orchestra et son concert du 15 mars prochain au théâtre des Champs-Élysées ?

C.P. : C'est vrai, ce lien s'est construit au fil de l'amitié que nous avons développée depuis quelques années avec le Japon. Cela dans des domaines très différents. Tout d'abord dans celui des jardins, car les Japonais nous ont demandé de faire l'expertise des jardins impériaux de Tokyo. Ils avaient retrouvé le dessin d'un jardin français datant du début du XXe siècle qui s'était évidemment "japonisé" au fil du temps. Souhaitant restaurer ces jardins, les responsables japonais ont demandé le concours des jardiniers et architectes des jardins de Versailles. Ce fut une première approche.
En novembre dernier, nous avons fait venir la fleur impériale japonaise par excellence : des chrysanthèmes géants de plus de quatre mètres d'envergure, qui nécessitaient un travail de taille en comparaison duquel les topiaires qui sont si importantes à Versailles ne sont presque rien ! Cela se perpétuera avec une exposition Marie-Antoinette à Tokyo en 2016. Les Japonais sont passionnés par tout ce qui touche à cette reine. J'oserai dire que nous construisons un lien privilégié avec le Japon, un lien qui s'affirme aussi à travers la musique avec ce concert du Waseda University Symphony Orchestra.
 
Il y a justement une communauté de lien entre vous, Versailles et ce concert proposé par le Waseda Symphony Orchestra. Cet orchestre a une très longue histoire : fondé en 1913, il est exclusivement composé d'étudiants de l'Université Waseda, l'une des plus anciennes et prestigieuses universités privées du Japon, spécialisée en sciences politiques, droit et économie, un domaine que vous connaissez bien ! De plus, pour ce concert du 15 mars, il propose un programme où, là encore, jouent, en écho, des valeurs partagées par Versailles, tel que vous le racontez, et le Japon. On pourra en effet y entendre : Ainsi parlait Zarathoustra, Don Juan, La Danse des sept voiles de Strauss et Mono-Prism, une œuvre pour percussions japonaises et orchestre de Maki Ishii, un compositeur japonais majeur, ceci avec en soliste un percussionniste, véritable "trésor national vivant" au Japon : Eitetsu Hayashi. L'ensemble sera dirigé par un grand chef japonais habitué des salles européennes, Kazufumi Yamashita. Un tel programme joue avec les fondamentaux mêmes que vous venez d’évoquer à propos de Versailles : le jeu permanent entre tradition et modernité, le dialogue entre les cultures …

C.P. : Je crois que c'est évident et que ces liens sont pour nous toujours très forts, eux qui souscrivent à ces deux exigences : le sens de la tradition et la volonté de création ! Le dialogue croisé qui va se faire à travers ce concert est fondamental. Il s'est passé la même chose lorsque le président chinois Xi Jinping, venant à Versailles, avait souhaité que le programme musical soit à la fois chinois et français. Je crois qu'aujourd'hui les choses doivent se passer comme ça, on ne va pas les uns chez les autres figés dans ce que nous sommes, on écoute l'autre, l'on découvre qui il est, ce qui n'empêche pas, chacun, de se faire entendre. C'est exactement ce que va nous offrir ce concert du Waseda University Symphony Orchestra. À titre personnel, pour moi que la musique a accompagnée toute ma vie et qui ai toujours eu le regret de ne pas être instrumentiste, ce concert et, plus largement, toutes les offres musicales proposées dans notre enceinte sont un formidable cadeau !
 
Propos recueillis par Jeann-Martine Vacher, le 2 mars 2015
 
 
Concert du Waseda University Symphony Orchestra, dir. Kazufumi Yamashita
Œuvres de R. Strauss et M. Ishii
15 mars 2015 – 20h
Paris – Théâtre des Champs-Elysées
/www.concertclassic.com/concert/strauss-ainsi-parlait-zarathoustra-op-30

Photo © Thierry Bouet

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