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Une interview d’Andreas Mölich-Zebhauser, directeur du Festspielhaus et du Festival de Baden-Baden – C’est le festival des Berliner !

A la tête du Festspielhaus de Baden-Baden depuis un peu plus de deux décennies, Andreas Mölich-Zebhauser (photo) aura été l’artisan de la réussite artistique d’une institution au modèle économique original, mais aussi de celle d’un Festival de Pâques, créé il y a sept ans, où l’Orchestre Philharmonique de Berlin prend ses quartiers chaque printemps. A quelques jours du commencement (le 13 avril) d’une riche édition 2019 – Otello mis en Scène par Robert Wilson et dirigé par Zubin Mehta en ouverture ! –, Concertclassic a rencontré Andreas Mölich-Zebhauser. L’heure du bilan aussi pour celui qui, en fin de saison, passera le relai à Benedikt Stampa à la direction du Festspielhaus
 
Le Festival de Pâques démarre dans quelques jours ; quels en seront les temps forts ?
 
Andreas MÖLICH-ZEBHEUSER : Cette année, la nouvelle production d'Otello de Verdi (avec Robert Wilson à la mise en scène et Zubin Mehta à la direction, ndlr) sera le grand moment de la programmation car c'est la première fois que cet opéra est joué à Baden-Baden en version scénique. Cela faisait plusieurs années que je songeais à le programmer mais cela ne s'était jamais concrétisé. J'avais d'abord prévu que Claudio Abbado vienne le diriger, mais son médecin de l'époque le lui avait formellement interdit en raison de son état de santé déjà précaire. Nous avons aujourd'hui la grande chance d’accueillir Zubin Mehta qui a répondu présent immédiatement. Pour moi, Otello est son opéra attitré. Stuart Skelton et Sonya Yoncheva tiendront les deux rôles principaux.
Nous avons également la chance de recevoir Riccardo Muti pour le Requiem de Verdi, avec Vittoria Yeo et Elīna Garanča en particulier.
Quant au futur chef du Philharmonique de Berlin, Kirill Petrenko, il viendra pour deux représentations très attendues : l'une avec Patricia Kopatchinskaja dans le Concerto pour violon de Schönberg, l'autre avec Lang Lang dans le 2ème Concerto pour piano de Beethoven. Il reviendra d'ailleurs l'année prochaine pour le Fidelio de Beethoven, mais ce ne sera plus sous ma direction, car je quitte le Festspielhaus cet été, après vingt-et-un an de bons et loyaux services ...
 

Kirill Petrenko © Wilfried Hösl
 
Comment définiriez-vous le « style Petrenko » ?
 
A. M.-Z. : C'est un travailleur infatigable, qui va jusqu'au bout de ses idées interprétatives, et qui aime s'attarder sur chaque détail d'une œuvre. Mais paradoxalement, c'est son inspiration du moment qui prime pendant la représentation. Comme si d'avoir atteint une précision maximale au cours des répétitions lui permettait d'être plus léger, plus libre, au moment du concert. Je le trouve d'autant plus inspiré quand il a la possibilité de travailler avec le même orchestre sur la durée. Car il n'est pas ce type de chefs qui acceptent toutes les propositions : il préfère avoir le temps de se plonger dans une œuvre et de connaître ses musiciens avant de se confronter au public. Il n'y a aucune forme de routine chez lui. Le « style Petrenko » pour moi, c'est ça.

Le Philharmonique de Berlin est impliqué dans tous les concerts du festival. Quelle est la nature de votre partenariat ?
 
A. M.-Z. : Nous avons signé un engagement sur le long terme avec eux, depuis sept ans que ce festival existe. Autant dire que c'est Le festival du Berliner ! Les membres de l'orchestre participent donc à tous les temps forts de festival mais pas seulement ; cette année ils prennent part également à la création d'un opéra de chambre dédié à la figure de Clara Schumann (Clara de Victoria Bond, ndlr), ainsi qu'à un opéra pour enfants basé sur Otello, dans le magnifique théâtre de Baden-Baden, ainsi qu'aux seize concerts de musique de chambre donnés dans des endroits différents de la ville. Les « Berliner » y jouent avec le même professionnalisme que pour les grands opéras. La plupart viennent d'ailleurs avec leur famille et restent ici pendant deux semaines en villégiature. Ils ne sont pas enfermés dans une chambre d'hôtel mais louent des maisons de vacances pour l'occasion, à Baden-Baden ou dans la région. Ils perpétuent ainsi, à leur manière, la grande tradition culturelle de cette ville qui a toujours été prisée des artistes européens depuis la deuxième partie du XIXème siècle.
 

Vue exérieure du Festspielhaus de Baden-Baden © Thomas Straub
 
Vous êtes directeur artistique et directeur administratif du Festspielhaus depuis vingt-et-un ans. Pouvez-vous nous expliquer le fonctionnement financier de votre institution ?
 
A. M.-Z. : Tout d'abord j'ai eu la sagesse, dès le début de mon mandat, de me doter d'un second directeur administratif (Michael Drautz, ndlr) et de lui donner avec les années de plus en plus de responsabilités, car la charge de travail était trop lourde pour un seul homme. 
Du point de vue financier, nous fonctionnons grâce à des fonds privés, ce qui est assez rare en Allemagne. Un peu à la manière du système américain, nous sommes soutenus par un petit nombre d'entreprises et par grand nombre de donateurs privés. Nous ne recevons aucune subvention publique ; seule la partie technique, c'est-à-dire la maintenance du bâtiment, est financée moitié-moitié par la région et la ville, à hauteur de 3 millions d’euros par an. C'est parfait pour nous, car nous n'avons pas la main sur le porte-monnaie et ne demandons pas un centime au citoyen allemand. De plus, le prix du billet d'entrée est relativement équitable et bien redistribué : nous ne percevons aucune taxe dessus. Chaque année, les dons privés s'élèvent à environ 10 millions d’euros, ce qui est un énorme cadeau pour la vie de la maison. Nous sommes très fiers de nos donateurs car sans eux nous ne pourrions rien faire. C'est pourquoi nous mentionnons leurs noms dans chacune de nos publications.
 
Quelle est la proportion de spectateurs français dans votre public ? Avez-vous l'intention d'en attirer davantage?
 
A. M.-Z : Je ne connais pas les statistiques exactes mais l'on doit tourner autour d'une moyenne de 10% de spectateurs français par an. Nos voisins strasbourgeois viennent de plus en plus souvent mais nous voulons effectivement en attirer encore davantage. Dans les trois prochaines années, nous avons ainsi décidé de nous concentrer sur la région strasbourgeoise et de renforcer nos liens avec l'Alsace en général. Nous avons déjà mis en place le programme « Colombus » ; un projet éducatif nous donnant l'opportunité de proposer des billets au tarif réduit de 10 € pour les enseignants et leurs élèves. Une école strasbourgeoise a ainsi déjà pu en profiter. Mais il est vrai que nos systèmes éducatifs sont si différents que cela peut poser des problèmes d'organisation. Nous souhaitons également améliorer notre communication en augmentant le nombre de nos publications traduites en français.
 
Vous quitterez donc vos fonctions en juillet de cette année. Quels sont vos projets personnels ?
 
A.M.-Z. : Prendre des vacances ! (rires). Plus sérieusement, je veux m'éloigner un peu du terrain artistique et devenir un conseiller freelance pendant environ deux ans, afin notamment de soutenir le travail de Benedikt Stampa, mon successeur, et de m'assurer de la bonne santé de la « famille Festspielhaus ». Car j'ai quatre enfants, et le Festspielhaus est mon cinquième ! Avoir contribué à construire la réputation internationale de cette maison est source de bonheur pour moi, même si cela n'a jamais été mon but premier. D'ailleurs ce n'est pas vraiment grâce à moi, mais plutôt à chacun des artistes qui sont montés sur scène, malgré un trac parfois immense, que je dois le succès de cette institution. Moi qui ai fait des rôles d'enfant à l'opéra et joué dans des séries télé jusqu'à mes quatorze ans, je peux imaginer leur tension intérieure avant de jouer. En tant que directeur, j'ai juste essayé de donner la bonne orientation, d'effecteur les bons réglages, et d'aider les artistes malgré leur stress. Je suis plein d'admiration pour eux.
 
Propos recueillis et traduits par Samuel Aznar le 27 mars 2019

 
Festival de Pâques de Baden-Baden 2019
Du 13 au 22 avril 2019
www.festspielhaus.de/fr/programme
 
Photo © Michael Gregonowits

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