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Un Sacre à visage humain, Pierre Boulez dirige le London Symphony Orchestra

La foule des grands jours s'est rendue au Châtelet vendredi pour le concert de Pierre Boulez à la tête du London Symphony Orchestra. Le chef français dirigeant Le Sacre du Printemps : la chose est on ne peut plus naturelle, mais constitue pourtant toujours un événement.

Un autre Stravinski cher à Boulez, Symphonies d'instruments à vent, précède(1) le moment tant attendu. Le maestro et ses instrumentistes ne font qu'un. On est séduit par la cohésion d'ensemble autant que par le sens du détail de cette interprétation, mais c'est plus encore sa dimension sensible, la poésie triste et amère qui s'en dégage - quoi de mieux venu d'ailleurs dans une pièce composée en hommage à Debussy deux ans après la mort de celui-ci ? - qui nous comblent.

Le moment du Sacre approche… ; impatience palpable dans la salle… Quel moment d'émotion, quelle surprise aussi Pierre Boulez nous réserve-t-il… Sa maîtrise de l'ouvrage, unique et fascinante, demeure, mais on mesure vite combien sa conception a évolué, combien elle s'est humanisée. Le chef renoue avec l'essence chorégraphique du Sacre : la musique ne perd rien de sa violence, de sa formidable expression, mais c'est bien d'un ballet dont il est question. Dimension que bien des interprétations d'une œuvre transformée en cheval de bataille symphonique occultent largement quand ce n'est totalement.

Tempo relativement retenu ; Boulez a tout loisir de sculpter, d'habiter le matériau sonore. En état de grâce, le London Symphony Orchestra répond au doigt et à l'œil et l'on ne peut que rendre les armes face à la sidérante beauté des timbres - à quel miracle sommes nous conviés dans la seconde partie avec l'Introduction et les Cercles mystérieux des adolescentes ! "Mystérieux" : le terme aura rarement été mieux compris qu'ici…
Avec ces Stravinski hors du commun, on prend la mesure de l'évolution d'un chef qui, nous rapportent des oreilles de confiance, n'a pas été moins convaincant la veille dans la 7ème Symphonie de Gustav Mahler.
Le London Symphony Orchestra ne pouvait en tout cas rêver célébrer plus magnifiquement son centenaire au bord de la Seine qu'avec ces deux concerts mémorables !

Alain Cochard

Théâtre du Châtelet, vendredi 22 octobre 2004

Autres concerts dirigés par Pierre Boulez.

(1) J'aurais souhaité vous parler de Boulez dans sa musique ; de Dérive 2 que le chef et compositeur dirigeait en première partie de soirée. Au risque de m'attirer les regards narquois de certains (c'est d'ailleurs déjà fait !), les embarras de la circulation parisienne un vendredi soir sont seuls responsables de mon silence à ce sujet.

Photo : DR
 

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