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The Turn of the Screw à l’Opéra de Rennes - Tour tragique - Compte-rendu

On ne le soulignera jamais assez, The Turn of the Screw a connu peu de mises en scène capables de nous transporter autant dans l’univers d’Henry James que dans celui de Britten. Luc Bondy hier, Jonathan Kent et Dominique Pitoiset aujourd’hui y sont pourtant parvenus.

On craignait un peu, pénétrant dans le cercle intime de l’Opéra de Rennes, de trouver le spectacle au cordeau que Pitoiset avait conçu en 2008 pour le Grand Théâtre de Bordeaux abandonné, comme cela arrive si souvent lors de reprises. Mais non, même privé de la blonde gouvernante de Mireille Delunsch, qui jouait alors les sosies de Tippi Hedren dans cette production inspirée par Hitchcock, la parfaite et transparente mécanique mise en place par le metteur en scène fonctionne toujours avec la même précision.

Cette transposition sous référence cinématographique ne s’éloigne pourtant jamais de la poésie étrange du récit de James, en incluant le fantastique dans le quotidien : contrairement à ce que l’on avance communément, plus le mystère est visible, plus il est puissant. Mais Pitoiset traite avant tout du désir en exposant sans détour le rapport de domination imposé par Peter Quint à Miles, ne craignant pas d’évoquer une relation pédophilique que Britten souligne assez dans sa musique : les arabesques vocales de Quint, l’omniprésence du célesta, instrument de l’éros qui accompagnera également les émois d’Aschenbach devant Tadzio dans Death in Venice, possèdent un onirisme clairement sexuel.

Finis donc les fantômes, voici les corps. Même si Pitoiset ne les dénude jamais, on peut lire dans sa direction d’acteur si précise la violence du désir, la toute puissance de la tentation, et décidément, en cela, sa lecture va plus loin que celles de Bondy ou de Kent. Ce théâtre brûle, sans y paraître il dévaste.

Paul Agnew l’a compris. Créateur de Quint dans cette production, il reprend le rôle avec la même urgence, la même concentration. La voix semble plus libre, plus envoûtante encore, plus terriblement suggestive. La Miss Jessel de Cécile Perrin, elle aussi créatrice de son rôle lors des premières représentations bordelaises met l’accent sur la tristesse insondable qui détruit son personnage : beaucoup d’art, jusque dans le soin qu’elle prend à minimiser ses grands moyens vocaux (depuis ses pulpeuses Comtesse, elle est devenue une Leonore, une Senta !). Toujours aussi juste, aussi sentie, aussi émouvante, Hanna Schaer est décidément une irremplaçable Mrs Grose. Les enfants sont parfaits, la Flora de Claire Sevestre très grande sœur, le Miles d’Antonin Rondepierre avec sa voix flûtée et son physique charmeur plus gamin que le fantastique Louis-Alexandre Désiré à Bordeaux, qui lui affichait clairement le jeu d’une séduction en miroir avec celle de Quint. Il faudra encore un peu de temps pour que Marie-Adeline Henry-Delhourme ait tous les moyens de la gouvernante : finement jouée, l’actrice est supérieure à la chanteuse dont l’instrument montre quelques limites, même si sa lamentation finale devant la mort de Miles donne le frisson.

Tito Muñoz peine ça et là à refréner l’éclat des solistes de l’Orchestre de Bretagne, qui couvrent trop les jeunes gosiers, mais on était à la première, cela se règlera aux représentations suivantes.

Ne ratez pas ce spectacle exemplaire, on ne sait quand et où il sera repris.

Jean-Charles Hoffelé

Benjamin Britten : The Turn of the Screw (Le Tour d'écrou) - Opéra de Rennes, le 3 février, prochaines représentations les 7 et 9 février 2012
www.opera-rennes.fr

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Photo : Laurent Guizard
 

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