Journal

Turandot selon Robert Wilson au Teatro Real de Madrid - Fastes et farces de l’Empire céleste - Compte-rendu

Le Teatro Real, l’Opéra de la capitale espagnole, fait à nouveau l’événement. Cette fois en présentant en première mondiale la nouvelle production de Robert Wilson : Turandot. Le spectacle devrait par la suite voyager dans les Opéras de Toronto, de Vilnius et de Houston, qui coproduisent. En tant que tel, il s’agit sans nul doute d’une grande réalisation de Wilson, qui n’est jamais tant inspiré que quand il illustre l’Extrême-Orient.

© Javier del Real
Avant le commencement de la soirée, Wilson, visiblement ému, et Joan Matabosch, directeur artistique du Teatro Real, prennent la parole pour dédier la représentation à Montserrat Caballé, récemment disparue. Hommage judicieux à celle qui a tant marqué de son empreinte le rôle de la princesse héroïne de Puccini. Puis le rideau s’ouvre, sur une de ces images puissantes dont Wilson a le secret : un plateau translucide piqué de figures archétypales, dans des armures et vêtures façon Chine impériale et immémoriale. L’action se poursuit, par blocs d’intervenants campés de gestes stéréotypés au sein de lumières immatérielles.
La pratique du théâtre Nô, l’éternelle référence de Wilson, dans les mouvements et les maquillages d’un blanc laiteux, vise au plus juste d’une symbolique allégorique. Mais parmi des foules d’un statisme taillé au scalpel, s’agitent Ping, Pang et Pong, avec une exubérance venue, elle, de la commedia dell’arte. Comme une synthèse de l’art de cette fresque grandiose et intimiste plantée dans une lointaine Chine de légende, telle que voulue par le dernier opéra de Puccini.
 

Gregory Kunde (Calaf) & Yolanda Auyanet (Liù) © Javier del Real

La restitution musicale répond pareillement à l’esprit et à la lettre de l’ouvrage. Gregory Kunde, à 60 ans bien sonnés, figure un Calaf d’anthologie, ferme dans tout le registre avec des passages ardemment maîtrisés de voix de poitrine à voix de tête. Une incarnation superlative. On serait plus réticent pour la Turandot de la Suédoise Iréne Theorin (photo, remplaçant Nina Stemme initialement prévue), dans une émission en force et en vibrato qui frise le cri, mais qui sait aussi se nuancer d’un subtil legato lors de ses pages finales. Nulle réserve, en revanche, pour la Liù de Yolanda Auyanet, distillée d’une projection délicieusement lisse. Raúl Giménez (L’Empereur Altoum), Andrea Mastroni (Timur), Joan Martín Royo (Ping), Vicenç Esteve (Pang), Juan Antonio Sanabria (Pong) et Gerardo Bullón (un mandarin), complètent efficacement une distribution vocale des mieux adaptées.
 

Nicola Luisotti © Terrence McCarthy

L’orchestre met quelques instants avant de trouver sa juste mesure, de prime abord exacerbé (dans l’acoustique très présente du Teatro Real), puis mieux étagé avec de délicats détails. Le chœur, titulaire du théâtre comme l’orchestre, prend pleinement possession de sa belle et importante part. Le tout peaufiné par la direction attentive de Nicola Luisotti, qui recueille, en compagnie du metteur en scène et de tous les interprètes, les vibrants bravos du public de cette première (parmi lequel, l’ancien premier ministre français et actuel candidat à la mairie de Barcelone, Manuel Valls).
 
Pierre-René Serna

(1)Le ténor américain tient le rôle de Calaf en alternance avec Roberto Aronica et Jae-Hyoeung Kim, Iréne Theorin celui de Turandot avec Oksana Dyka
 
Puccini : Turandot – Madrid, Teatro Real, 30 novembre ;  prochaines représentations les 5, 6, 8, 9, 11, 12, 15, 16, 19, 20 23, 26, 27, 29 & 30 décembre 2018 // www.teatro-real.com/es/temporada-18-19/opera/turandot
 
Photo © Javier del Real

Partager par emailImprimer

Derniers articles