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Truls Mørk et Bezhod Abduraimov aux Concerts du Dimanche Matin – Le souffle du grand Nord – Compte-rendu

Avec les Sonates de Grieg et Rachmaninov, ce sont deux grands jalons du répertoire pour violoncelle et piano qui réunissent Truls Mørk (photo) et  Behzod Abduraimov, étoile montante du piano que l’on avait eu l’occasion d’entendre en décembre dernier dans un récital mémorable à la Fondation Vuitton.
L' Opus 36 de Grieg nous plonge d’emblée dans un climat de trouble et d’inquiétude, où les trémolos du piano semblent donner une assise psychologique au thème central, qui hantera l’Allegro agitato comme une idée fixe. La pâte du Truls Mørk est là : un vibrato serré, des sonorités boisées, et une implication dans le son, plus que par le son. C’est que le violoncelliste n’est pas de ceux qui comptent sur les effets pour faire la musique, mais de ceux qui vont travailler la texture dans sa confection même, à partir d’une palette de jeux qui semble inépuisable tant elle est loin d’une correspondance directe et figée avec la partition. Le son est alors rarement brut, mais le fruit d’une riche élaboration. Croire en la musique pour faire effet, et non  l’inverse.

Cette approche procède par une appropriation non seulement des moyens techniques, mais surtout du contenu expressif, comme si le tourment était toujours vécu intimement, la musique en étant l’expression. Une concentration de l’expression, qui mène à une certaine pudeur dans l’extériorisation. Bezhod Abduraimov n’a pas cette pudeur expressive, ce qui crée par moments un déséquilibre sonore, le piano couvrant le violoncelle. Le tumulte laisse place à la cantilène, dont la continuité et la remarquable souplesse donne au violoncelle des allures de voix humaine. Une voix qui ne flotte jamais dans un flou expressif, mais suit des directions toujours claires. Le climat d’urgence qu’arrivent à instaurer les musiciens dans le retour du thème principal donne la chair de poule. L’Andante molto tranquillo, interprété avec une sensibilité pleine de tendresse, fruit cette fois d’une remarquable écoute entre les deux musiciens, précède un Allegro joueur, inspiré des danses norvégiennes, dans lequel Behzod Abduraimov excelle par la légèreté et l’alacrité de son jeu. Le pianiste fait preuve tout au long du concert d’une grande maîtrise de son instrument, et une grande maturité émerge de ses intentions musicales, toujours claires et assumées.

Bezhod Abduraimov © Nissor Abdurazakov

De la Sonate op. 19 de Rachmaninov, l’Allegro scherzando marquera les auditeurs par le surgissement et la sauvagerie qui se dégagent de la radicalité du thème descendant, asséné tonitruant par le pianiste qui ne va pas dans la demi-mesure, pour venir contraster avec le lyrisme tout rachmaninovien de la romance au violoncelle. La souplesse du son de Truls Mørk enveloppe l’Andante dans un écrin de poésie plein de douceur et de nostalgie, nourri par les nombreux contre-chants que le pianiste fait ressortir sans emphase, avec la pudeur qui sied à cette atmosphère en demi-teinte. L’Allegro mosso, plein d’élan et de vigueur, vient clore ce concert en beauté. Mais le public en redemande : l’occasion pour les musiciens de nous offrir une méandreuse et superbe Vocalise de Rachmaninov.

Manuel Gaulhiac

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Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 25 mars

Photo © Stéphane de Bourgies

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