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Trois Questions à Jean-Luc Ho, claveciniste - Pour l’amour de Byrd

Jean-Luc Ho vient de publier un bel album Byrd chez L’Encelade(1), prélude à une tournée de cinq concerts d’ici la fin de l’année. L’occasion de causer avec ce musicien partagé entre clavecin et orgue

Pourquoi un disque Byrd ?

Jean-Luc HO : C’est une musique que je connais depuis très longtemps. Lorsque j’ai commencé à jouer du clavecin on m’a mis entre les mains très tôt l’édition Dover de My Ladye Nevells Booke qui contient quelques pièces assez simples d’accès de William Byrd, comme la Galliard Gigue où le caractère de la danse est très fort, une musique assez irrésistible pour un enfant.  J’ai grandi avec cette musique, après j’ai abordé les Pavans et les Galliards, puis enfin les Fantaisies, tout un itinéraire à travers les œuvres de Byrd que je n’ai jamais quitté depuis mes premiers pas sur l’instrument.
J’ai composé ce disque de la manière plus vivante possible, c’est pour cela qu’on y trouve des œuvres sacrées et des œuvres profanes, quitte à jouer le sacré au clavecin et le profane à l’orgue. Tout cela était possible à l’époque de Byrd, même courant, il n’y avait pas de rupture entre ces deux mondes. J’y ai aussi distillé des transcriptions de pièces de consort de violes, l’une de la main de Tomkins d’ailleurs, que je joue à l’orgue, et un consort songs transcrit probablement par Byrd que je joue au clavecin. Je voulais montrer cette diversité en enregistrant ces pièces bien moins connues que nombre d’autres déjà fort bien gravées au disque.

Dans cet album, comme durant le temps d’un concert, je veux donner l’image la plus vivante et la plus diverse possible de « l’univers Byrd ». Il y a quelques disques Byrd vraiment réussis, celui d’Andreas Staier – je me souviens de son récital aux Abbesses voici plus de dix ans-, j’ai évidemment beaucoup appris de Davitt Moroney qui a fait un travail d’encyclopédiste en enregistrant l’intégrale de l’œuvre de clavier pour Hyperion et dont j’ai suivi les master classes spécifiquement consacrées à Byrd, et musicalement j’aime particulièrement le disque qu’a enregistré Léon Berben aux Pays-Bas sur l’orgue historique de Oosthuizen (2). J’ai d’ailleurs choisi pour mon disque un orgue de facture flamande du début du XVIe siècle. J’aurais pu l’utiliser presque comme un orgue anglais, comme celui d’Eton ou de la chapelle de Cambridge, des instruments  aujourd’hui disparus, j’aurais pu retrouver leurs couleurs, un ripieno à l’italienne, un seul clavier, pas de mixture, pas de jeux d’anches, mais la beauté de l’orgue m’a ouvert d’autres horizons : je commence le disque avec la trompette que Byrd n’a pas connu, pour la Fantaisie en sol j’utilise un mélange entre la trompette et la mixture qu’il n’aurait pas pu jouer, mais voilà, la richesse de l’instrument m’a guidé.
 

© jeanluc-ho.com

C’est assez nouveau cette façon, dans l’interprétation historiquement informée, de justement prendre ce type de libertés par rapport à une certaine doxa, est-ce un phénomène de génération ?

J.-L. H. : C’est une chose que je m’autorise non seulement avec les instruments, mais aussi avec les textes. On a une seule source éditée sous la surveillance de Byrd, qui ne contient que huit de ses pièces, mais pour le  reste de l’œuvre ce ne sont que des manuscrits – surveillées probablement par Byrd pour My Lady Nevells Booke, mais les autres sources proposent des versions différentes – changements de titre, de nom, différences dans l’ornementation qui semblent dictées par l’instrument que le copieur devait jouer au moment de coucher son travail sur le papier, toutes choses qui me permettent de prendre moi aussi certaines libertés en faisant sonner le clavecin ou l’orgue que j’ai sous les doigts durant un concert ou l’enregistrement d’un disque.

Je ne joue pas le « même Byrd » sur un clavecin italien ou sur un virginal flamand. Ce territoire des virginalistes est bien moins rigide que celui de la musique française de clavecin ; les couleurs, la manière de faire chanter les polyphonies sont bien plus diverses, sollicitent d’autant l’imagination de l’interprète jusque dans une mise en œuvre de la modalité. D’ailleurs pour mes concerts je paysagerai les œuvres de Byrd avec des pièces d’autres virginalistes, et cela en fonction des instruments que je jouerai, la plupart du temps un orgue. En fait l’alternance entre orgue et clavecin n’aura lieu qu’à l’occasion du concert du 16 octobre à l’abbaye de Saint-Amand-de-Boixe, on sera alors au plus près du propos du disque.
 
Quels sont vos projets ?

J.-L. H. : Avant la fin de l’année le label NoMadMusic sortira l’intégrale des Partitas de Bach, enfin bouclée, et je vais travailler sur les deux Messes pour orgue de François Couperin, l’occasion d’une réflexion sur le plain-chant avec l’Ensemble Les Meslanges et Thomas van Essen ; nous allons bénéficier d’une résidence de travail à Royaumont.
J’ai envie de trouver deux orgues différents du XVIIe siècle – Couperin  était jeune homme lorsqu’il composa ses Messes, or on les entend toujours jouées sur de grands instruments de la facture de de la seconde moitié du XVIIIe soit quasi un siècle après leur composition. Je cherche un orgue mésotonique avec une quinzaine de jeux, seulement deux claviers, pas de récit d’écho, pas de jeu indépendant à la pédale, afin que tout l’instrument soit joué et pas un tiers ou un quart d’un orgue plus tardif. Tout cela devrait paraître en 2017 pour l’anniversaire Couperin
 
Propos recueillis par Jean-Charles Hoffelé, le 11 septembre 2015

(1)W. Byrd, « Walsingham », Jean-Luc Ho, orgue et clavecin, (1 CD L’Encelade ECL1401/dist. Socadisc)
 
(2) W. Byrd, « Clarifica me », Léon Berben (1 CD Ramée RAM 0704)
 
Les concerts
Œuvres de Byrd
 
8 octobre 2015– 20h30 (clavecin)
Paris - Eglise Saint-Germain-des-prés (entrée libre)
http://www.lartdelafugue.org/#!concerts/cx50

11 octobre 2015 – 17h(orgue)
Fresnes - Eglise Saint-Eloi  – 17h00 (entrée libre)
http://www.lartdelafugue.org/#!concerts/cx50

16 octobre 2015 (orgue et clavecin) – 20h30
Abbaye de Saint-Amant-de-Boixe
http://domremicarre.pagesperso-orange.fr/actualites.htm

25 octobre 2015 (orgue) – 17h
Mougins - Eglise Saint-Jacques-le-Majeur –– 17h00 – 5€
18e Festival d'orgue de Mougins (du 4/10 au 24/10) : http://www.cote.azur.fr/actualites/info_festivals_musique_14368.htm

19 décembre 2015 – 19h (virginal & clavecin)
Valenciennes – Phénix
http://www.lephenix.fr/saison/sacre-sale/
 
Site personnel de Jean-Luc Ho : jeanluc-ho.com

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