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Thierry Pécou et Philippe Hersant au Festival Sinfonia en Périgord - Regards curieux sur le baroque

Les festivals offrent parfois des rencontres inattendues. Dans un monde musical où la recherche de l'excellence dans l'interprétation et des goûts esthétiques souvent exclusifs ont conduit à une spécialisation, voire une segmentation de l'offre autant que des publics, voir cohabiter en bonne intelligence musiques anciennes et contemporaines est rare – et laisse parfois planer le soupçon de l'opportunisme ou de l'alibi. Aussi l'initiative de Sinfonia en Périgord ne peut-elle passer inaperçue. Le festival de musique baroque d'Aquitaine confie en effet à des interprètes rompus à l'interprétation de la musique ancienne – baroque et pré-baroque – le soin de présenter la musique de deux compositeurs d'aujourd'hui, Thierry Pécou et Philippe Hersant.
 
L'envie de travailler ensemble
 
En aucun cas il ne s'agit là de juxtapositions hasardeuses : les œuvres en question sont nées d'un profond respect mutuel et de l'envie des interprètes et des compositeurs de travailler ensemble. Ainsi Philippe Hersant déclare-t-il, à propos du Psaume 130 « Aus tiefer Not » que l'ensemble Sagittarius reprend le 27 août : « J’ai eu l’occasion, il y a quelques années, de rencontrer Michel Laplénie. Il venait de fonder l’Ensemble Sagittarius, dont les qualités musicales et expressives m’avaient beaucoup impressionné .Par ailleurs, je partage avec Michel Laplénie une grande admiration pour Heinrich Schütz. Écrire une pièce qui pourrait prendre place dans un concert dédié à ce compositeur était une manière de lui rendre hommage. C’est dans cet esprit que j’ai choisi de mettre en musique le Psaume CXXX, Aus tiefer Not (De Profondis), dans la traduction allemande de Martin Luther. ».
C'est donc en bon connaisseur de ses interprètes et de leur répertoire que Philippe Hersant écrivit en 1994 sa partition, en vue d'une création au Festival d'Art sacré de Paris ; pour ses Prophéties des Sibylles, la démarche fut sensiblement la même puisque cette œuvre pour cinq voix de femmes (que l'on entendra le 28 août en l'abbaye de Chancelade) est une réponse à une commande de l'ensemble De Caelis, destinée à s'insérer en regard de différentes versions du Chant de la Sibylle, très en vogue dans l'Espagne médiévale et renaissante.
 
De même, c'est à l'initiative de Paul Fournier, directeur de l'Abbaye de Noirlac, et de Patrick Cohën-Akénine, directeur artistique de l'ensemble Les Folies françoises, que Thierry Pécou a composé son Miserere à trois voix pour faire suite aux Lamentations de la Semaine sainte d'Alessandro Scarlatti. Créée l'an dernier à Noirlac, l'œuvre sera reprise le 26 août dans le cadre de Sinfonia en Périgord.
 
Combinaison de l’érudit et du sensible
 
Ces œuvres nouvelles sont passionnantes en ce qu'elles combinent l'érudit et le sensible. À l'écoute du Miserere de Thierry Pécou, on comprend que le compositeur a une connaissance très pointue de la musique de Scarlatti. Sans être jamais imitative, son écriture offre des réminiscences thématiques et formelles avec l'écriture baroque, telle la basse continue réinventée que l'on peut y entendre. C'est aussi que ces compositeurs, lorsqu'ils répondent à de telles commandes, trouvent à s'appuyer sur des instruments « passeurs », capables de stimuler l'imagination créatrice. Il en est ainsi de l'orgue positif pour Thierry Pécou dans le Miserere, qui assure la transition entre une écriture d'aujourd'hui et des sonorités et modes de jeu que l'on pourrait rattacher à l'époque baroque. Pour Philippe Hersant, l'instrument passeur, c'est souvent la viole de gambe, présente dans le Psaume 130 : « J’aime beaucoup, et depuis longtemps, certains instruments anciens, tout particulièrement la viole de gambe », écrivait ainsi le compositeur au moment de la création de l'œuvre. Cet amour de l'instrument, on le retrouve dans de nombreuses autres partitions, parfois soliste (Le Chemin de Jérusalem, 2003), très souvent en soutien – ou contrepoint – du chœur (dans le Stabat Mater de 2002 ou Clair Obscur en 2008). Mais, comme le souligne le compositeur, il s'agit avant tout de jouer avec une « image sonore » qu'il se fait de l'instrument. D'ailleurs, ajoute-t-il,  « quelques-unes de mes œuvres, comme la Pavane pour alto ou mon premier Concerto pour violoncelle, bien qu’écrits pour des instruments modernes, font explicitement référence à la musique des gambistes de l’âge baroque ». L'œuvre emblématique serait alors le superbe Trio avec piano « Variations sur la sonnerie de Sainte-Geneviève-du-Mont de Marin Marais ».

 

philippe hersant

Philippe Hersant © Radio France / Christophe Abramowitz
 
La voix, instrument passeur par excellence
 
On ne s'étonnera pas cependant que l'instrument passeur par excellence pour ces deux compositeurs soit la voix, présente en effet dans les trois œuvres programmées par Sinfonia en Périgord. La voix humaine, instrument immuable, est aussi celui offre le plus de possibilités de remonter les siècles – ou de parcourir les mondes – sans avoir à se poser les questions souvent insolubles de la recréation organologique. Le Psaume 130 de Philippe Hersant en donne un bon exemple : Schütz – et Bach – y sont cités explicitement mais l'œuvre, loin de se conformer à une écriture « à la manière de », est au contraire d'une grande invention. Lorsque ses œuvres joignent le baroque et le contemporain, Philippe Hersant y laisse aussi entendre une connaissance passionnée de toute l'histoire de la musique, arches multiples de ces ponts lancés entre deux rives.
 
Bâtisseurs de ponts, passeurs : voilà bien ce qui pourrait définir et rassembler ces deux compositeurs, qui sont curieux avant toute chose. En 1996 déjà, Thierry Pécou se confrontait à la musique de la Renaissance en composant L'Homme armé (pour huit voix solistes), créé par l'ensemble Les Jeunes Solistes de Rachid Safir au Festival d'Ambronay et destiné à faire pendant à la Messe « L'Homme armé » de Guillaume Dufay. Un thème universel, transcendant les époques, y permet le dialogue entre des écritures évidemment bien différentes. Du baroque, Thierry Pécou introduit dans ses œuvres les instruments (l'orgue et la basse de viole dans le Tombeau de Marc-Antoine Charpentier) ou les formes (dans le Petit Livre pour orgue) au même titre que ceux et celles empruntés aux musiques d'autres contrées.
Réminiscences ou hommages assumés, commandes ou pur produit du désir créateur, ces œuvres ne cessent d'interroger le rapport de la création contemporaine à l'histoire de la musique. Une chose est sûre : elles le font toujours en se plaçant dans le champ de l'invention.
 
Jean-Guillaume Lebrun
 
 
24ème Festival Sinfonia en Périgord (du 25 au 31 août) : www.concertclassic.com/festival/sinfonia-en-perigord
 
A lire :

Rencontre avec Thierry Pécou (2010) : www.concertclassic.com/article/rencontre-avec-thierry-pecou-linvitation-au-voyage
 
Rencontre avec Philippe Hersant (2014) : www.concertclassic.com/article/rencontre-avec-philippe-hersant-expression-reminiscences-et-obsessions

Photo Thierry Pécou © Guy Vivien

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