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Teuzzone de Vivaldi à Versailles - Savall, passeur de la Sérénissime - Compte-rendu


« Venise, Vivaldi, Versailles ». Reconnaissons que la formule est heureuse, qui associe trois noms propres à enflammer notre imaginaire. D'abord, une cité mythique saturée d'art, de musiques, de signes ; puis un compositeur qui, comme nul autre, est une « machine à faire rêver ». Enfin, un palais emblématique qui s'identifie à tout un pan de notre histoire, de nos affects.

Plus concrètement, c'est un partenariat de Château de Versailles-Spectacles avec la firme Naïve qui a permis l'exhumation de ce Teuzzone vivaldien qu'accueillaient les ors de l'Opéra royal – un ouvrage dont un enregistrement est réalisé, parallèlement aux concerts, pour l’Edition Vivaldi de Naïve.

L'oeuvre fut représentée en 1719 à Mantoue au théâtre archiducal et cède au goût de l'exotisme chinois (alors très à la mode) sur un livret déjà existant d'Apostolo Zeno. Teuzzone, héritier légitime du trône, trouve sur sa route la jeune veuve Zidiana, ex-épouse de l'empereur défunt Troncone, et ses deux prétendants, le général Sivenio et le gouverneur Cino. A travers cent péripéties, l'action avance sans temps mort, preuve de l'instinct opératique de l'auteur jusqu'à l'inévitable lieto fine (fin heureuse) qui voit les justes récompensés et les traîtres pardonnés ou châtiés, selon la gravité de leurs fautes.

Musicalement, l'ouvrage est d'une richesse foisonnante, un véritable dictionnaire du chant baroque dans une perspective aventureuse qui privilégie l'art de l'ornementation, des mélismes et des figurations les plus hardies de la ligne mélodique. Mais parallèlement, l'impact structurel et expressif de l'aria da capo y est un autre trait distinctif, preuve qu'y font bon ménage souci de la forme et liberté. Outre l'intérêt marqué du Prêtre Roux pour les expériences sonores et harmoniques (l'ouverture dissonante de la Cavatine «Ove giro il mesto sguardo » de la scène 6 à l'acte 1).

Dans ce temple du belcantisme, on attendait, bien sûr, le magicien Savall et son fidèle Concert des Nations - rappelons, pour être complet, un Farnace plein de mérites par les mêmes(1). Une attente qui n'est pas déçue, tant les choix du chef et gambiste catalan dans l'exhumation nous semblent, une fois de plus, imparables.

Délaissant les récents métissages Orient-Occident, le maître d'oeuvre s'impose ici avec tout le savoir-faire désirable, nonobstant une équipe vocale très sensiblement renouvelée, à l'exception du baryton Furio Zanazi, incontournable dans le rôle du traître Sivenio (le seul à ne pas bénéficier de la clémence de Tuzzone). Dans ce jardin de voix agiles, l'auditeur sera notamment séduit par l'alto de Delphine Galou qui campe une Zidiana très crédible, presque touchante, et l'heureux soprano de Raffaella Milanesi dans le personnage de Zelinda, la fiancée de Teuzzone. Quant au rôle-titre il est assumé par le sopraniste Paolo Lopez : timbre virtuose, mais caractérisation un peu courte dans le drame et l'urgence. On n'en louera pas moins avec chaleur le réveil de cette oeuvre-clé du catalogue vivaldien, où, derechef, Jordi l'universel joint le juste style à la manière, avec la caution instrumentale d'un Concert des Nations plus que jamais inimitable dans le geste et le son.

Roger Tellart

Naïve (3CD OP 30471)

Vivaldi : Teuzzone (version de concert) - Opéra royal de Versailles, 26 juin 2011

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Photo : DR

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