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Tassis Christoyannis et Jeff Cohen aux Bouffes du Nord – Fleurs rares – Compte-rendu

Vrai continent musical, empli de trésors souvent ignorés, le répertoire de la mélodie française souffre de bien des préjugés. D’aucuns l’imaginent souvent sous un jour compassé, poussiérieux, un peu vieille-dame. Il est pourtant tout le contraire lorsque des interprètes convaincus s’en emparent, pour le faire vivre. Il y a quelques semaines, Cyril Dubois et Tristan Raës donnaient l’exemple avec un formidable récital à l’Auditorium du Louvre. (1)

Celui que Tassis Christoyannis (photo) et Jeff Cohen ont offert dans le cadre du 6ème Festival Palazzetto Bru Zane à Paris ne l’était moins. Partenaire privilégié du Centre de musique romantique française depuis des années, Christoyannis a déjà signé cinq disques aux côtés de J. Cohen (tous pour Aparté). Anthologies ou intégrales : Félicien David, Edouard Lalo, Benjamin Godard, Camille Saint-Saëns et Fernand de la Tombelle ont été enregistrés par le baryton grec et, à l'approche de la sortie d’une galette consacrée à des pièces de Charles Gounod – aussi convaincante que les précédentes ! – (2), le duo avait rendez-vous aux Bouffes du Nord pour «Un siècle de mélodie française », une anthologie de morceaux signés Lalo, Gounod, Godard, La Tombelle, David et Saint-Saëns. Autant dire quelques unes de ces fleurs rares (deux douzaines, quatre par auteur) de la mélodie française que Christoyannis et Cohen cultivent avec l’art que l’on sait.

Parfaitement construit qu’il s’agissent de son plan d’ensemble (de L’Aube naît de Lalo à deux La Fontaine de Godard pour la première partie, d’Ischia de La Tombelle à la Danse macabre de Saint-Saëns pour la seconde) ou de la sélection pour chaque auteur, le programme permet prendre la pleine mesure (quelle présence scénique du baryton, quelle visible complicité avec son pianiste !) du sens poétique, du bonheur de dire, du tact avec lesquels les interprètes explorent chaque mélodie. On voudrait tout souligner, contentons-nous de saluer l’émotion et la vie intérieure de Tristesse (Lalo/Silvestre), la bondissante légèreté de Au Printemps (Gounod/Barbier), la bonheur lumineux de L’Invitation au voyage (Godard/ Baudelaire) – si différente de celle de Duparc ! – ou, franchement irrésistibles, La Laitière et le pot au lait et La Cigale et la Fourmi (Godard/La Fontaine) dans lesquelles la vis comica de Christoyannis emporte l’adhésion.

Partenaire d’exception pour le chanteur que Jeff Cohen ; leur entente fait merveille dans Ischia (La Tombelle/Lamartine) où la « longueur d’archet » du pianiste permet au baryton de traduire au mieux le bonheur des amants sous « la molle clarté de la voûte sereine ». Pas moins réussi, Les Papillons (La Tombelle/Gautier) cultive charme et élégance sans une once de mièvrerie, avant que Passez, nuages roses (La Tombelle/Boutelleau) n’exprime déception et douleur avec une intensité jamais surjouée.
Exotisme de pacotille moqueront certains à propos de Tchibouk (F. David/Jourdan). Certes, mais avec quel art et quelle saveur les interprètes jouent-ils pleinement le jeu d’un tel morceau ! Le mot de la fin revient à Saint-Saëns, avec en particulier La Splendeur vide (poème d’A. Renaud), pièce qui prend ici une ampleur assez vertigineuse (ce que réalise le piano sur « Et de l’onde muette/Et du palais sans bruit/Un feu qui se projette/De plus en plus reluit », sa fusion totale avec le chant seraient à donner en exemple à tous les étudiants en accompagnement). Suit Le Pas d’armes du Roi Jean (poème de V. Hugo) où le sens de l’image des Christoyannis et la diversité des couleurs qu’il trouve avec l’aide de J. Cohen impressionnent. La Danse macabre sur le poème de Cazalis conclut, de mordante et ... zigetzigetzaguissime façon !  
Généreuse séance de bis avec Gounod et Hahn et, s’agissant de ce dernier, annonce du prochain projet discographique de Christoyannis et Cohen : l’intégrale de ses mélodies. On s’impatiente de découvrir ça !

Alain Cochard

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(1) http://www.concertclassic.com/article/cyrille-dubois-et-tristan-raes-lauditorium-du-louvre-deux-poetes-en-orient-compte-rendu
 (2) 1 CD Aparté AP181, sortie commerciale le 22 juin 2018

Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, 4 juin 2018 / 6ème Festival Bru Zane à Paris, jusqu'au 29 juin 2017 / parisfestival.bru-zane.com/

Photo © DR

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