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Tarare de Salieri sous la direction de Christophe Rousset à la Cité de la musique - Perle rare - Compte-rendu

Christophe Rousset (photo) clôt son cycle des opéras français de Salieri écrits pour Paris. Tarare conclut ainsi cette trilogie commencée avec Les Danaïdes puis poursuivie avec Les Horaces (1). Car les opéras d’Antonio Salieri (1750-1825), le rival mais aussi l’ami de Mozart, avec tout de même une quarantaine d’opéras, paraissent actuellement ressortir peu à peu des oubliettes ; si l’on en juge également ces dernières années par Falstaff à Herblay et Prima la musica à Levallois (2), ou un ouvrage ressuscité récemment comme La Fiera di Venezia au Festival de Schwetzingen en Allemagne. L’heure de Salieri semble être venue, heureuse chose…
 
Tarare représente toutefois un opéra particulier. Il s’agit non seulement du dernier des trois opéras en français de notre compositeur, mais en outre sur un livret de Beaumarchais. Ce qui constitue l’unique livret d’un auteur qui doit pourtant toute sa gloire à des opéras repris de ses pièces de théâtre (dont Le nozze di Figaro ou Il barbiere di Siviglia, premièrement mis en musique par Paisiello). En écrivant ce livret intentionnellement pour un opéra (et non pas du théâtre parlé), Beaumarchais avait songé à Gluck. Mais ce dernier devait renoncer, en proposant son disciple et ami Salieri. Et ainsi fut fait (3). L’opéra est créé le 8 juin 1787 à Paris à l’Académie royale de musique. Avec succès, malgré un contexte politique tendu (assemblée des notable préfigurant les États Généraux de 1789). L’ouvrage va rester à l’affiche et se maintenir au répertoire pendant près de 40 ans, traversant différents régimes politiques. Peu après sa création parisienne, il est repris à Vienne, sur un livret réécrit en italien par Da Ponte.

Cyrille Dubois (Tarare) © cyrille-dubois.fr
 
Puis ce fut l’oubli. Jusqu’à nos jours et cette redécouverte attrayante, autant pour les qualités musicales que dramaturgiques de l’œuvre. La trame conte une fable de convention plantée en Orient, qui voit un sultan confronté à son valeureux général-soldat, amoureux d’une belle esclave. Une histoire un peu tarabiscotée, qui pourrait être mythologique et qui étonne de la part de l’auteur des péripéties réalistes et contemporaines du Mariage de Figaro. Dans le texte, on relève, en passant, quelques tics d’époque, comme les mots « égalité » ou « nation », bien dans l’air du temps (juste avant la Révolution française). La musique aligne aussi des conventions, entre cadences parfaites et traits que l’on dirait signés de Gluck, mais pour gagner en inspiration au fil des presque quatre heures des cinq actes et du prologue, jusqu’à de poignantes pages finales. Un cran en-dessous des Danaïdes, dont Berlioz avait fait l’éloge, mais captivant dans l’ensemble.

A l'Opéra royal de Versailles © Cyrille Larrayadieu

Il est vrai que la restitution, à la Cité de la musique quelques jours après l'Opéra royal de Versailles, ne ménage pas ses effets ni sa conviction. Au sein d’un plateau vocal éminemment choisi, chacun exprime ardeur et passion dans un constant engagement vocal comme expressif (malgré une restitution de concert). Cyrille Dubois campe Tarare, le héros généreux, avec l’aura d’un grand rôle dramatique, jouant en virtuose d’une technique di grazia consommée. Pour le fourbe sultan Atar, Jean-Sébastien Bou dispense la vigueur de circonstance dans une projection assurée. Karine Deshayes reste, pour la bien-aimée Astasie, cette voix à la fois claire et subtile. Une mention pour Tassis Christoyannis, d’une présence pertinemment articulée dans un rôle de Grand-Prêtre. Judith van Wanroij et Enguerrand de Hys complètent, avec les vertus qu’on leur sait, une distribution quasi idéale.
 
Le chœur des Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles s’acquitte avec efficacité de ses interventions, bien préparé qu’il est par Olivier Schneebeli. Alors que l’orchestre Les Talens lyriques distille puissance et phrasé, et ce en dépit de l’acoustique sèche du lieu. Christophe Rousset, à qui l’on doit ce beau projet de redécouverte des trois opus lyriques français de Salieri, mène tout ce beau monde avec un allant sans faillir. Un enregistrement devrait suivre, qu’il ne faudra pas manquer (4).
 
Il vous reste une occasion de découvrir Tarare, par les mêmes interprètes, ce 9 décembre à Caen.
 
Pierre-René Serna

(1) Voir nos comptes-rendus :
www.concertclassic.com/article/les-danaides-de-salieri-lopera-royal-de-versailles-franc-succes-compte-rendu
et :
www.concertclassic.com/article/les-horaces-de-salieri-lopera-royal-de-versailles-affres-corneliennes-compte-rendu
 
(2) Voir nos comptes-rendus :
www.concertclassic.com/article/falstaff-de-salieri-au-theatre-dherblay-festif-compte-rendu
et :
www.concertclassic.com/article/der-schauspieldirektor-de-mozart-et-prima-la-musica-e-poi-le-parole-de-salieri-par-la

 
(3) On se reportera à ce sujet avec profit à la biographie de Beaumarchais par Christian Wasselin (Folio/Biographies n° 125).
 
(4) Chez Aparté. À noter, chez le même éditeur : Les Horaces (2 CD AP 185)
 
Salieri : Tarare (version de concert) - Paris, Salle des concerts de la Cité de la musique, Philharmonie de Paris, 28 novembre 2018 ; reprise au Théâtre de Caen le 9 décembre 2018 // theatre.caen.fr/Spectacles/tarare

Photo © Eric Larrayadieu

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