Journal

Tancredi de Rossini à l’Opéra de Lausanne – Réunion de talents - Compte-rendu

Sous la tutelle entreprenante d’Éric Vigié, l’Opéra de Lausanne se distingue par une programmation à la fois audacieuse et bien pensée. C’est ainsi qu’en attendant Solaris, créé récemment au Théâtre des Champs-Élysées (1), place est réservée à Tancredi. L’opéra de Rossini n’est pas si fréquent, certes, mais c’est surtout ici sa réalisation qui se signale. S’accumulent ainsi les premières et prises de rôle : pour les chanteurs, dont bien entendu les deux protagonistes principales, pour le chef d’orchestre et même, accessoirement, pour le metteur en scène. Ce qui est à la fois un risque et attrait. À condition de savoir les assumer. Contrat rempli !
 
On sait que l’opéra de jeunesse qui devait consacre la carrière de Rossini, fait la part belle aux deux héroïnes féminines, à travers leurs volutes vocales confrontées. Les plus grandes interprètes du répertoire belcantiste en ont senti l’attrait obligé, de Horne à Podless, de Ricciarelli à Cuberli (et l’an passé à Paris, Marie-Nicole Lemieux et Patrizia Ciofi au Théâtre des Champs-Élysées).
Face à la dure concurrence de ses illustres devancières, Anna Bonitatibus s’empare donc du rôle-titre (travesti). La chaleur du timbre et la dextérité sont là, en particulier dans son célèbre et périlleux air « Di tanti palpiti », éblouissant, quand bien même quelques ponctuelles duretés ne font pas oublier les prestigieux précédents dans ce rôle en forme de défi.
Jessica Pratt prend, elle, à plein poumon Amenaide, dans la couleur à la fois évanescente et ardente d’un soprano maîtrisé, en parfaite réponse au mezzo de sa partenaire. La grande triomphatrice de la soirée. Mais il est une autre révélation, que l’on n’attendait pas vraiment : Yijie Shi, ténor rayonnant pour un Argirio à l’endurance assumée, en dépit d’un ou deux aigus escamotés. Camille Merckx (Isaura) se remarque davantage par la noirceur de son alto, dans une projection encore un peu grêle chez cette jeune chanteuse.
 
Mais c’est la conjonction de tous et de toutes, dans une justesse d’ensemble, qui s’impose ; avec l’appui d’un chœur étonnant de dynamique, entre des piani toujours clairs et des forte impressionnants, dans l’acoustique si propice du théâtre lausannois (on est loin sur ce plan de l’écrasement sonore de certaines salles modernes). Ottavio Dantone, qui dirigeait pour la première fois l’ouvrage, forme assurément le catalyseur. Imprimant une juste et belle cohésion au plateau et à l’orchestre, dans cette souplesse alliée à l’attention du détail sans lesquels Rossini n’est pas.
 
Emilio Sagi conçoit la mise en scène avec ce goût qu’on lui connaît, parfait serviteur d’un opera seria qui ne va pas de soi. L’action se retrouve ainsi transposée à l’époque de la création, reflet de ce livret qui met aux prises un ennemi de convention (les Maures) et une Italie balbutiante dans ses prérogatives politiques (comme le soulignent d’insistants et répétitifs « patria »). Le décor (signé Daniel Bianco) est somptueux, dans l’esprit décadent d’un palais sicilien, sous des lumières choisies (par Eduardo Bravo), déroulant les conflits des personnages sous un jour crépusculaire. On notera à cet égard les ombres de soldatesque, en un arrière-plan saisissant, qui préludent à l’ultime bataille guerrière. Entre le plateau vocal, la direction musicale et la représentation scénique, une réunion de talents.
 
Pierre-René Serna
 
(1) Lire le CR : www.concertclassic.com/article/solaris-en-creation-mondiale-au-theatre-des-champs-elysees-espace-opera-compte-rendu
 
Rossini : Tancredi – Opéra de Lausanne, 20 mars ; prochaines représentations les 25, 27 et 29 mars 2015. Coproduction avec le Teatro Municipal de Santiago du Chili. / www.opera-lausanne.ch/fr/accueil.html
 
Photo © M. Vanappelghem

Partager par emailImprimer

Derniers articles