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« Sur les pas de Lise » au CRR de Paris – Dans les forêts de Sibérie (version avec violoncelle) – Compte-rendu

Un violoncelle de Stradivarius (le «Cristiani ») tristement endormi dans une vitrine du Musée de Crémone, une dédicace («  Fräulein Lisa Cristiani gewidmet ») sur la Romance sans paroles op. 109 pour violoncelle et piano de Mendelssohn : voilà qui a suffi pour piquer la curiosité de Marie-Thérèse Grisenti (photo). Avec le concours de la réalisatrice et journaliste russe Tania Rakhmanova, la violoncelliste a entrepris un minutieux travail d’enquête au sujet d’une étonnante personnalité de la musique romantique : Lise Cristiani (1827-1853), première femme à s’être présentée comme violoncelliste professionnelle.

« Singulier instrument pour une demoiselle » ronchonne la misogyne critique parisienne de l’époque. « Ma liberté vous dérange ? Et bien, adieu Messieurs ! », leur répond en substance une jeune femme libre comme l’air. 1847, elle a 20 ans : en compagnie de « son noble époux » – son cher Strad –la Française part à l’aventure. L’Autriche et l’Allemagne d’abord (à Leipzig, Mendelssohn ébloui par le niveau  – et la modernité – de son jeu lui dédie donc la Romance op. 109), puis le Danemark, où un poste de premier violoncelle à la cour lui est proposé.
N’est pas né celui qui la retiendra ! La voilà bientôt à Saint-Pétersbourg. Quelques mois de halte et, le 17 décembre 1848, chaudement emmitouflée – il fait -30° tout même ...  –, elle part vers l’Est pour un incroyable voyage à travers la Sibérie dont on n’a pas la place ici pour narrer toutes les péripéties ... jusqu’à la presqu’île du Kamtchatka !

On s’en voudrait surtout de trop déflorer le contenu du concert narratif « Sur les pas de Lise » que Marie-Thérèse Grisenti (sa conceptrice avec T. Rakhmanova), le pianiste Marc Vitantonio et le comédien Jean-Philippe Raymond ont donné dans le cadre de VioloncellenSeine (dont on doit l'organisation à l'Association Française du Violoncelle). En programmant ce beau spectacle (créé au Conservatoire de Villejuif en mars dernier), Raphaël Pidoux, directeur artistique de la manifestation, a permis de découvrir un personnage étonnant certes – le concert s’appuie sur des extraits de la savoureuse correspondance de la violoncelliste –, mais aussi de goûter aux nombreuses pièces brèves, toujours en situation par rapport à l’atmosphère du récit (tout comme les projections de créations graphiques d’Artur Majka ), qui ponctuent ce « Sur les pas de Lise ».

Du Largo de la Sonate pour violoncelle de Chopin à la Valse sentimentale de Tchaïkovski, d’un Nocturne de Piatti à l’Elégie de Massenet, de la Sérénade de Rimski-Korsakov au Gute Nacht du Winterreise de Schubert ou, évidemment, à la Romance op. 109 de Mendelssohn, en passant par bien d’autres morceaux, le jeu à fois ferme, chaleureux et narratif de Marie-Thérèse Grisenti fait merveille. Porté par le piano complice de M. Vitantonio (photo), il répond avec autant de simplicité que de cœur aux mots de Lise Cristiani dits par J.-P. Raymond, toujours à l’unisson d’un spectacle intensément vécu.

Lise Cristiani ne revit jamais la France. Après la Sibérie, elle prit le chemin du Caucase, où une épidémie de choléra la faucha en 1853... Singulier destin.

Alain Cochard

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Paris, CCR, 3 décembre 2016 

 Duo Grisenti/Vitantonio : pianocello.free.fr/
VioloncellenSeine : www.violoncellenseine.fr/journees/

Photo © DR

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