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Solstice par la Compagnie Blanca Li à Chaillot - Eléments en folie - Compte rendu

Dans le marigot de la création contemporaine chorégraphique, il est certain que son sabot fougueux laisse une trace de feu ! Blanca Li est vedette, comme n’ont pas su l’être une Marin, une Chopinot, qui furent des créatrices inspirées et originales mais n’eurent pas le charisme personnel et l’énergie pour propulser leur art et leur vouloir sur tous les podiums de la médiatisation et de la modernité. L’austère Carlson seule y parvint, mais dans un créneau que seuls pouvaient apprécier les intellectuels ! L’andalouse Blanca, elle, ne recule devant rien, mue peut être par la flamboyante énergie de ses origines. Et souvent, c’est trop, ou trop peu !
 
Si Macadam Macadam, le Songe du Minotaure ont porté son nom partout, on a vu des ratages absolus, comme son Schéhérazade, commandé par l’Opéra de Paris qui fréta pourtant Christian Lacroix pour la circonstance, et plusieurs pièces sans intérêt, marquées d’un côté music-hall à l’espagnole et d’une facilité douteuse. Mais voici Solstice, et le choc est considérable. L’idée aussi, car pour cette longue traversée de l’histoire des hommes au sein de la nature, Blanca Li, comme une poétesse perchée sur son promontoire, n’a pas craint d’appeler sur scène vents et marées, cieux et vents, glaciers et incendies dans une fresque merveilleusement éclairée par Caty Olive, où les silhouettes racontent en une série de tableaux parfaitement explicites les malheurs et la beauté de notre planète : et elle a l’art de varier son style pour chacun, des grandes envolées de voiles à la Loie Fuller, des moulinets de bras à la Carlson, des bonds à la Alvin Ailey, des piétinements à la Pina Bausch, de la danse de rue inspirée de West Side Story et du hip hop qu’elle a vu naitre quand elle habitait Harlem. Toutes influences qu’elle décline avec talent et qu’elle a parfaitement incorporées et digérées. Il ne s’agit pas là d’emprunts, mais d’un héritage qui porte ses fruits. Outre une expérience sportive d’enfance qui lui sert notamment dans un extraordinaire tableau sur le souffle, où on admire particulièrement un de ses danseurs, le râblé et minotauresque Victor Vinot.

© Nico Bustos
 
Il y a des scènes qui font rire, des portés fluides et vertigineux, des élans foudroyants de sensualité et d’animalité, des phases poétiques et aériennes, des vociférations (un peu trop car elles n’ajoutent rien que de facile) le tout mené par une pulsation irrésistible, que mettent en place alternativement, la musique de Tao Gutierrez et la batterie sur le vif de Bachir Sanogo, extraordinaire silhouette aux muscles d’ébène et à la taille de Sylphide, comme sculpté dans un propulseur paléolithique, dont la percutante énergie se calme parfois lorsqu’il se fait griot ou troubadour, en quelques séquences plus calmes. Mais vraiment sereines, jamais, car Blanca est animée d’une rage de se battre pour une planète dont elle déplore la fragilité et les monstrueux démons qui l’épuisent, rage qu’elle exorcise dans ce perpetuum mobile, et notamment dans les douloureuses scènes où les danseurs, tous magnifiques et absolument transportés, tentent de faire surgir la vie d’une terre souillée, recouverte de poudre noire.
 
On est suspendu pendant une heure et demie à ce roulement généralement frénétique, à cet instinct de vivre, aux drames d’un monde dont elle sait chanter la beauté menacée, sans évoquer de destins individuels. Dire qu’elle a fait là son propre Sacre du Printemps, avec des emprunts en filigrane à celui de Béjart, s’impose, avec ces rondes martelées et ces silhouettes qui se fracassent. Et elle sait l’imposer avec une sensibilité, une véhémence qui n’appartiennent qu’à elle. Un sacre du printemps, un massacre du monde, tel est ce Solstice, qui use de toutes les ressources de la danse contemporaine, et la raconte un peu aussi.   

Jacqueline Thuilleux

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« Solstice » (chor. Blanca Li) : Paris, Théâtre de Chaillot, 29 septembre ; jusqu’au 13 octobre 2017. www.theatre-chaillot.fr  
 
Photo © Nico Bustos

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