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Sir Simon Rattle et le London Symphony Orchestra à la Philharmonie – Belle symbiose – Compte-rendu

Entre Simon Rattle (photo) et la musique de Gustav Mahler, s'est tissée une longue histoire d'amour. Il y a plus de vingt-cinq ans déjà, le chef anglais enregistrait avec son orchestre de Birmingham l'intégrale des symphonies et des cycles de lieder. Depuis, sa passion n'a jamais faibli. Ce soir encore, à la tête d'un LSO galvanisé, dont il deviendra, à l'automne prochain, le directeur musical, il s'élance vers l'estrade, rayonnant d'énergie juvénile. Sans que cette énergie soit absolument la bonne, la seule qui vaille pour cette Sixième Symphonie, la plus noire de toutes : l'énergie du désespoir. Plus à son avantage dans les œuvres optimistes comme la « Résurrection », Simon Rattle a toujours défendu un Mahler singulier, voire insulaire, en marge – sinon à contre courant – des traditions continentales Mitteleuropa, plus grinçantes et plus contrastées, entre apocalypse et rédemption.
 
On le vérifie dans cette exécution ambiguë de la Sixième Symphonie, où Simon Rattle se place en porte-à-faux, en bousculant l'ordre des mouvements, avançant l'Andante central en deuxième position, renvoyant le Scherzo, dont le rythme de marche prolonge celui de l'Allegro initial, à la troisième place, ce qui détruit l'effet de symétrie. Certes, Mahler lui-même a parfois hésité, en cours de composition. Mais la séquence Allegro /Scherzo a le plus souvent prévalu, notamment chez les mahlériens « de souche », de Leonard Bernstein à Pierre Boulez. L'impression d'avancée à marche forcée n'en est alors que plus saillante, de même que l'Andante, placé avant la course à l'abîme finale, semble une parenthèse de bonheur des plus fragiles, menacée de tout côté. Maître de son sujet, Simon Rattle n'en négocie pas moins superbement les ultimes mesures de la partition. Gardant les bras tendus après l'émiettement sonore des rythmes,  il oblige le public à retenir ses applaudissements, et à répondre au désespoir mahlérien par le seul signal tolérable : le silence.
 
L'accord du chef avec ses musiciens, leur symbiose, sont un spectacle réjouissant. Comme deux semaines plus tôt dans la même salle, avec Daniel Barenboïm et l'orchestre de la Staatskapelle de Berlin. On savoure une discipline collective, une précision d'ensemble, un plaisir d'adhérer à une interprétation, qui ne sont pas si fréquents dans les formations parisiennes … On en voyait l'emblème dans le jeu de la claviériste en charge de la partie de célesta. C'est dans sa Sixième Symphonie que Mahler recourt pour la première fois à cet instrument éthéré, promis à un bel avenir, notamment dans l’Adieu  du Chant de la Terre, où, sur les derniers mots de la soliste, il laisse entrevoir un nirvana radieux. Dans la Sixième Symphonie, il évoque, soutenu par un petit comité (harpes, glockenspiel, cloches de troupeau, trémolos de cordes), la sérénité des alpages du Tyrol où Mahler se réfugie l'été pour composer. Lançant par intermittences d'impalpables arpèges comme autant de sésames, l'instrumentiste du LSO, pleine d'attention et de bienveillance, ouvre les portes du vert paradis mahlérien. Saint Pierre peut lui confier les clés du sien.              
 
Gilles Macassar
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Paris, Philharmonie, Grande Salle, 20 janvier 2017

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