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The Second Woman de Frédéric Verrières aux Bouffes du Nord - Essai lyrique transformé - Compte-rendu


C’est vrai qu’aux Bouffes du Nord, les choses ne se déroulent jamais comme le voudrait la routine. Le théâtre de Peter Brook affiche un nouvel opéra donné en création mondiale dont on sort après avoir… bien ri ! Voilà qui nous change de ces premières lyriques compassées où un certain public aime à s’ennuyer pour mieux faire contrition… Le jeune compositeur s’appelle Frédéric Verrières, son librettiste Bastien Gallet. Ce qui surprend agréablement, c’est que cet ancien élève du Conservatoire de Paris et stagiaire à l’Ircam de Pierre Boulez ne livre pas une partition scolaire : tout y est méticuleusement maîtrisé, mais dans la bonne humeur et l’ironie.

Frédéric Verrières a refusé de plonger dans le monde impur du genre lyrique sans s’être imposé une manière d’initiation voire d’apprentissage à en croire ses déclarations. Pour mieux se familiariser avec lui, il a décidé de choisir l’opéra comme sujet par le biais de l’aventure que constitue une répétition. Un sujet digne de Pirandello, qui lui a été inspiré par le film de John Cassavetes Opening Night qui retrace les péripéties de la répétition d’une pièce intitulée The Second Woman comme le nouvel opéra. Pas de vrais personnages, mais des types : la colorature, la chanteuse, le baryton, le pianiste répétiteur ou le metteur en scène. Tous sont plus ou moins des caricatures confrontées à leurs limites comme aux frontières passoires entre les styles, de la tradition orale des Balkans à la pop, du baroque au bel canto, de Debussy à Stockhausen.

Cela permet au compositeur les excursions les plus drolatiques d’un genre à l’autre, ce qui ouvre le champ à l’imagination du vrai et excellent metteur en scène de la soirée Guillaume Vincent. En fait, on revoit la même scène avec des oripeaux et surtout des notes différentes. La citation clin d’œil, le presque « à la manière de » sont confiés aux chanteurs, la trame orchestrale conservant une totale originalité, le monde ancien étant toujours revisité avec les moyens d’aujourd’hui. Car Frédéric Verrières s’est amusé – et nous aussi – à dire leurs vérités à ces tics hérités des modes anciennes et… avant-gardistes ! En sorte qu’il est permis d’espérer que lorsqu’il se lancera dans l’opéra proprement dit, il saura éviter tous les pièges du genre.

La réussite ne serait pas possible sans l’engagement total des protagonistes Jean-Yves Aizic le pianiste répétiteur, Elizabeth Caleo la cantatrice à problèmes, Marie Eve Munger la colorature québécoise, Jeanne Cherhal la chanteuse multi facettes, Jean-Sébastien Bou le baryton de ces dames et le comédien Philippe Smith en metteur en scène mouche du coche. Jean Deroyer et l’Ensemble Court Circuit déroulent comme un tapis à la fois voluptueux et grinçant la bande son sur laquelle s’inscrivent les facéties dignes d’un Kagel des protagonistes. Un spectacle où l’on ne s’ennuie pas : c’est si rare !

Jacques Doucelin

F. Verrières/Bastien Gallet : The Second Woman – Paris – Théâtre des Bouffes du Nord, le 29 avril. Jusqu’au 13 mai, du mardi au samedi (relâche : 5, 10 et 11 mai).
www.bouffesdunord.com

Tournée : Théâtre de la ville de Luxembourg (30 novembre et 1er décembre 2011) ; Brétigny sur Orge (Espace Jules Verne : 9 mars 2012) ; Opéra de Reims (13 mars 2012) ; Théâtre de Caen (15 et 16 mars 2012).

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Photo : Pascal Victor

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